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« Que vive la mémoire de Mussy... » :
Spectacle du 26 octobre 2003
Le spectacle que vous allez écouter est le fruit d’un collectage c’est-à-dire de rencontres régulières avec des Musséens au cours desquelles ils ont raconté « l’autrefois »...
Au départ, il y a eu deux associations Les Amis de la Lecture et du Patrimoine et Pour Mieux Vivre Ensemble et leur demande : sauver de l’oubli la mémoire ouvrière de Mussy en racontant Mussy au temps des usines.
Mais une mémoire ne vit que si elle est transmise. J’ai donc associé les enfants de la classe de Madame Ruelle, les grands de CM1 et CM2. Les anciens du groupe de collectage et moi-même avons été surpris de l’intérêt porté par les jeunes à notre travail. Leurs nombreuses questions pertinentes, leur curiosité nous ont amené à élargir le thème du collectage : de la mémoire ouvrière de Mussy, nous sommes passés à la mémoire de Mussy, tout simplement !
Ne vous attendez pas à un spectacle historique avec une chronologie, des dates précises. Pour cela, il y a les historiens et les livres d’histoire. D’ailleurs, l’exposition qui accompagne ce spectacle dans le cadre des journées du patrimoine en présente certains.
Ce que vous allez entendre, c’est l’histoire de Mussy avec un petit « h », celle qui est dans votre mémoire collective, celle qui vient compléter l’histoire avec un grand « H ».
Tout ce que j’ai collecté, je le rends avec les histoires de ce spectacle. Les noms des personnages sont parfois imaginaires afin de protéger l’anonymat des Musséens et celui des participants du groupe de collectage.
Puisse ce spectacle créer, restaurer ou développer les liens au sein des familles et entre les Musséens.
Puisse ce spectacle aider vos enfants, vos petits-enfants, vos arrières petits-enfants à avancer dans la vie, à savoir où ils vont et pourquoi et ce, parce qu’ils sauront d’où ils viennent.
Puisse la parole circuler et répondre à votre devoir de mémoire !
Martine Caillat
Conteuse.
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Il était une fois un village qui avait trois coiffeurs, quatre ivrognes qui sont morts noyés, un marquis : le marquis de cinq loups ainsi nommé parce qu’il se vantait d’avoir tué cinq loups, des villageois que l’on appelait familièrement :
le Ton’ chien, le Quintal, le P’tit Louis Bandral, la Yaya, le Seuslard, le Bibi, le Bonnet Sale, le Plume-patte, le Tancuisse, le Binbin, la Torche–Fesse, le Boeubœu, l’Adezine, le Gueulot, le Cochiche, le Lasseri, le Calicot, le Tonquin, le Picolot, le Grand Pellan, le Tam, le Truplu, le Peustard, le Soufieu de Tripes, le Guêpiot, le Mari Ma Femme, le Guédo.
Ce village avait aussi des usines, un curé, un patronage, un canal, des fêtes bref toute une vie de village, une vraie vie de village !
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On raconte, qu’autrefois, il y avait la corporation des barbiers–chirurgiens. Puis les barbiers se séparèrent des chirurgiens au XVIe siècle. Cependant, ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’on appela coiffeur celui qui arrangeait les cheveux. Les barbiers ne s’occupaient que des hommes, les femmes étant coiffées par leurs chambrières. Mais savez–vous comment s’appelait le premier coiffeur pour dames ? C’est un nommé Champagne qui, dans le deuxième quart du XVIe siècle, fut le premier coiffeur pour dames.
Ici, à Mussy, le grand coiffeur pour dames, c’était Ignace ou, plus exactement, en patois musséen, « l’Ignace », mais pas celui de Fernandel, le Nôtre. C’est le premier coiffeur qui a fait des permanentes : les permanentes Eugène, toujours en vogue. Les bigoudis posés chauffaient. Ils étaient reliés à deux fils électriques qui se dressaient au–dessus de la tête. Les femmes ressemblaient à des robots ! Il habitait Landreville et venait chaque fin de semaine. Il donnait des rendez–vous jusqu’à minuit en tout bien tout honneur. C’était un Espagnol aux doigts de fée. Il s’épilait la barbe et montrait ses photos quand il était… danseuse !
Il y avait aussi Dédé. Son salon mixte -hommes, femmes et enfants- était une seule pièce avec une porte et une petite fenêtre. Une cloison séparait le côté homme du côté femme. Elles venaient se faire frictionner la tête et onduler les cheveux au fer chaud. Parfois, il se déplaçait à domicile pour coiffer. Le père d’André était lui même coiffeur et chirurgien comme dans le passé. Il pratiquait les saignées. Il avait l’habitude d’accrocher le peigne avec lequel il coiffait les clients dans ses cheveux, une tignasse frisée. Sa femme rasait et tenait la buvette avec leurs filles. On buvait du vin à deux sous et du vin à un sou. Un jour, l’un des enfants s’écria : "Papa, il n’y a plus d’eau pour faire du vin à un sou !".
Après la guerre, Dédé stérilisait peignes et tondeuses en les passant dans la flamme d’un bec Bunsen. Les clients craignaient toujours d’être brûlés !
Et quand, malgré la Marie–Rose, la mort parfumée des poux, il en découvrait sur une tête, il rasait tout !
Il y avait un troisième coiffeur à cette époque. Il n’était pas du pays. Il était toujours habillé d’un costume de velours et portait une casquette.
Il est vrai qu’on ne se lavait pas les cheveux souvent comme maintenant. Pauline se souvient qu’elle se les lavait avec de la lessive "La Violette". Ses cheveux étaient très brillants et elle n’avait jamais de poux. Quand elle y songe maintenant, elle pense que la lessive y était pour quelque chose ! Pourtant, elle aurait bien aimé avoir des poux pour être exclue trois jours de l’école comme le voulait le règlement de l’époque. Pour la toilette, il n’y avait pas de salle de bain, bien sûr. Elle prenait de l’eau à la pompe et se lavait près de la pierre à eau. Elle se souvient de sa grand-mère qui chaque soir prenait un verre d’eau en allant se coucher. Elle en buvait la moitié pendant la nuit, l’autre moitié servant pour sa toilette !
Un jour, Pauline est partie en vacances quinze jours. Elle n’avait dans ses affaires que deux chemises, deux culottes mais son missel et un certificat comme quoi elle était bien allée à la messe !
C’était l’hygiène de l’époque !
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Autrefois, il y a fort longtemps, c’est-à-dire une quarantaine d’année, l’école n’était pas mixte ; à l’école maternelle les filles et les garçons étaient ensemble. A l’âge de l’école primaire ils allaient dans des écoles différentes, les filles à l’école « des filles », les garçons à l’école « des garçons ». A Mussy, ces bâtiments existent toujours et vous les connaissez : l’école des filles est devenue l’office de tourisme, l’écoles des garçons, c’est la classe de danse. Elles étaient séparées par une large allée, qui existe toujours elle aussi, et qu’on appelait « l’allée du cimetière », parce qu’avant l’installation des préfabriqués, c’était le seul accès pour les corbillards. Dans la cour de récréation, les enfants jouaient aux osselets, au ruban pour faire la Tour Eiffel, au jeu d’attrape. C’est un peu comme le ballon prisonnier mais sans ballon.
Dans l’école de filles, il y avait une maîtresse au visage disgracieux. Suite à une attaque, cette femme avait le visage tordu. Elle était très aigrie et très sévère. Une autre, pour punir Léa, l’asseyait sur le radiateur chaud. Bien sûr, elle avait les fesses brûlées.
Bien plus tard, les punitions existaient toujours. Léa se souvient être allée au coin, les mains dans le dos. Parfois, elle ne rentrait pas chez elle à midi : elle était au pain sec. Il lui est même arrivé d’être au noir dans le cagibi pendant l’heure du déjeuner. Mais inutile de se plaindre en rentrant à la maison le soir car quand Léa avait été punie à l’école, elle recevait une gifle ou une fessée.
Il y avait d’autres punitions : le bonnet d’âne dans les petites sections, les coups de règle sur le bout des doigts ; aïe, aïe, aïe ! Parfois, le puni marchait en tournant autour de la cour de récréation avec, ô punition suprême, la page arrachée accrochée dans le dos ! Sur le carnet, figurait une note pour la discipline. Le redoublement existait. Léa se souvient de cette époque heureuse. Elle pense que les enfants s’amusaient plus ensemble.
Plus tard, Léa a quitté l’école de Mussy pour entrer au collège de Troyes. C’était encore la guerre de 39-45. Les temps étaient durs. Elle était pensionnaire. Elle est arrivée au pensionnat le premier octobre. Elle n’est retournée chez elle que pour Noël, couverte de poux. Son trousseau avait diminué car on lui avait volé beaucoup de vêtements.
La directrice du collège de l’époque aidait la Résistance et pour ce, elle retenait sur la ration des jeunes filles. Coïncidence : chaque fois qu’on tondait la pelouse, le lendemain au réfectoire, on servait des épinards.
Les dortoirs étaient immenses : cinquante lits côte à côte, pas de placard, seulement une étagère ce qui explique peut–être les vols.
Léa recevait parfois un colis de ses parents dans lequel il y avait un morceau de beurre. Elle le conservait sous un filet d’eau.
Le dimanche, elle se promenait en rang avec les surveillantes.
C’était une autre époque, un autre temps !
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Elles étaient jolies les filles de Mussy, c’est vrai. Ne raconte-t-on pas qu’à Troyes, un jour, un gars dit : "T’es de Mussy ? On va au bal là-bas, les filles sont bien ! ".
Parmi elle, il y a Joséphine. Elle a commencé à fréquenter le patronage en 1924. Elle s’y rend les jeudis et dimanches après-midi.
L’été, elle joue et se promène dans le parc du château autour du Sacré-Cœur avec Mademoiselle Delorme, religieuse sécularisée, et Mademoiselle Marchal qui est venue de Lorraine à la demande des châtelains. Elles sont rétribuées par le château.
L’hiver, Joséphine joue aux cartes, à la manille coinchée. Le curé est mauvais joueur et très coléreux. Il leur jette les cartes au visage et s’en va en claquant la porte. Les filles sont en joie ! Il faut dire qu’elles trichaient un peu.
Le premier janvier, les filles allaient toutes souhaiter la bonne année à la vieille châtelaine. C’était la coutume. La grand-mère de Joséphine faisait partie du Rosaire, c’était à la fin du XIXe siècle. Au mois d’octobre -c’était le mois du Rosaire- elle récitait à l’église quinze dizaines de chapelet.
Pendant la guerre, la châtelaine faisait du riz au lait pour le patronage. Les jeunes filles du Rosaire n’avaient pas de riz au lait mais recevaient de la brioche.
Le dimanche, la châtelaine visitait les personnes âgées et leur apportait du pot-au-feu.
Un jour, elle demande à la grand-mère de Joséphine pourquoi elle ne vient pas à la messe. « Hélas ! ma bonne dame, répond la grand-mère, c’est que j’vois plus clair ! J’peux point lire le missel ».
Quelques jours plus tard, elle reçoit un missel imprimé en gros caractères. La grand-mère, flattée de l’intérêt que lui porte la châtelaine, s’empresse d’aller montrer à ses vieilles copines, ses voisines, le beau missel tout neuf offert -mais oui, ma bonne amie !- par la châtelaine, histoire de les faire bisquer, bien sûr…
La grand-mère de Joséphine n’alla pas davantage à l’église mais la châtelaine, indulgente, lui apporta quand même, chaque semaine, son pot-au-feu.
Joséphine se souvient de l’Abbé Tinet. Elle ne sait pas s’il fait bien le catéchisme mais, en tout cas, c’est un excellent musicien et un très bon comédien. Il dirige la chorale. Les chants sont magnifiques, à deux voix. Elle répète une fois par semaine.
L’Abbé disait : "Ne devenez pas des grenouilles de bénitier, les cantiques, c’est cucu ! ". Elle a appris un De Profondis. Lors des funérailles du Président Pompidou, des dizaines d’années plus tard, Joséphine le reconnut.
L’Abbé Tinet anime aussi l’activité théâtre. Chaque spectacle, joué à la salle Jeanne d’Arc, comprend une comédie, un drame et, entre les deux, des chants et des monologues. Il n’y a pas de garçon. Les rôles masculins sont joués par les filles. Joséphine joue le personnage de l’Alsacienne et dans la pièce, elle meurt. Elle a du sang sur la poitrine, à droite. Dans la salle, son père, spectateur, s’écrie : "Tu as le cœur à droite, ma fille ?". Quand Joséphine meurt, son père pleure et sa femme lui dit : "Mais c’est du théâtre ! ".
En 1936, il y a eu deux clans : le clan des communistes et le clan des poules à curé ! Un dimanche, des filles de Troyes sont venues à la sortie des vêpres avec de grands châles rouges attendre les filles du patronage. Elles les traitent de poules à curé ! Elles se crêpent toutes le chignon.
Joséphine se souvient être allée chanter avec la chorale à Celles sur Ource. Comme il y a un bal et qu’il faut attendre le train, les filles de Mussy, avec l’accord de l’Abbé Tinet, vont danser. Les garçons de Celles sur Ource les invitent de sorte que les filles du pays, les Queunetonnes, restent seules. Vexées d’avoir fait tapisserie, elles attendent les Musséennes pour régler leur compte. Il y a eu une grande bagarre générale !
Elles étaient tellement jolies les filles de Mussy…
Après la mort de l’Abbé Tinet, le théâtre continue. C’est alors le Cercle Théâtral de Mussy dont le créateur est le laitier, Monsieur Bourgin. Les comédiens, filles et garçons, répètent dès le mois de septembre au café Marcel le spectacle joué à partir de décembre. Marie a joué "Feu la mère de Madame" de Georges Feydeau. La troupe donne son spectacle dans les communes voisines. Dans le Tub Citroën du laitier, ils chargent les bancs, les costumes et les décors. Ils vendent des photos du spectacle et les dédicacent. Ca coûte trois francs la photo. Les trois, ils les vendent moins cher : dix francs !
- « 3 x 3 = 10. Eh bien ça alors ! »
Le soir, quand ils rentrent à Mussy, ils vident le Tub Citroën et remettent les bidons de lait pour la tournée du matin.
A Mussy, il y avait un ouvroir, l’ouvroir de Madame Dutilleul. Les femmes et les jeunes filles tricotaient et cousaient pour les gens dans le besoin. Un jour, Madame Dutilleul rendit visite à une mère nécessiteuse qui venait d’avoir encore un enfant.
"Pourquoi venez–vous là ? " demanda la mère.
"J’ai appris que vous veniez d’avoir un bébé. Je vous apporte quelque chose" répondit Madame Dutilleul.
"Qui êtes–vous ? " interrogea la mère.
"Madame Dutilleul ! " répondit la visiteuse.
"De la tisane, de la tisane ? Ici, on ne boit que du vin ! " s’écria la mère.
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Mademoiselle Irène, on l’appelait aussi "l’Irène de Monsieur l’Curé". Quand elle entre au service de l’Abbé Tinet, elle n’a pas l’âge canonique c’est-à-dire quarante ans. Elle demande à l’Evêché une dérogation et après un entretien, elle l’obtient facilement, à trente cinq ans. Elle n’est pas très jolie, Mademoiselle Irène. Elle s’habille en noir, en curé. Elle se coiffe d’une grande tresse noire.
La vie avec l’Abbé Tinet est quelquefois agitée car l’Abbé est coléreux. Toutes les semaines il la met dehors, le jeudi, après le catéchisme. Elle revient le dimanche pour faire les répons à la messe.
Quand on demande à Irène "de Monsieur le Curé" si elle est contente d’être chez l’Abbé Tinet, elle répond : "Oh, oui ! Il est gentil ! Tous les soirs, il passe devant ma chambre et demande : "Vous dormez, Irène ? " et je réponds : "Oui, Monsieur le Curé".
La mère d’Irène ne comprend pas sa fille. "J’ l’ai pourtant pas eue avec un curé !", s’exclame-t-elle !
On raconte que "l’Irène de Monsieur l’Curé" mangeait les dragées gardées dans des boîtes. Quand les enfants de chœur les ouvraient pour les distribuer, il n’y en avait plus !
« Ce n’était pas l’Irène. C’était le trio infernal du Patronage. »
Mademoiselle Irène restera au service de l’Abbé Tinet jusqu’à ce jour où la procession de Notre Dame de Boulogne qui traverse la France passe à Mussy. Ce jour–là, Mademoiselle Irène emboîte le pas de la procession et on ne l’a jamais revue !
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C’est vrai qu’il est coléreux, l’Abbé Tinet mais c’est aussi un grand musicien et un grand comédien. Personne n’a oublié. Ce personnage haut en couleurs a la répartie belle. Ainsi , invité à un dîner de famille, il verse du vin aux femmes en disant : "Le bon vin réjouit le cœur de l’homme et n’a jamais fait de mal à celui de la femme !".
Un jour, à Plaines, pour une messe d’enterrement, Mademoiselle Irène n’est pas là. Elle boude, mademoiselle Irène, hé oui ! Elle n’est pas revenue depuis que l’abbé l’a mise dehors le jeudi précédent, dans un accès de mauvaise humeur. Il est contrarié, l’abbé Tinat, car il n’y a personne pour dire les répons. Il bougonne : « elle a vraiment un fichu caractère, cette Irène ! ». Il demande à une jeune fille, Cécile, si elle veut bien remplacer Mademoiselle Irène. Cécile partait se promener à vélo avec ses amies mais elle accepte d’assister l’abbé et elle entraîne ses amies à l’église. Il est ravi, l’abbé Tinet, le voilà pourvu d’une chorale ! Il décide de faire une belle cérémonie chantée. A l’issue de l’enterrement, aux condoléances, la fille du défunt leur dit :
« Ah ! Qu’c’était t’y biau ! Qu’c’était t’y biau ! Ben vous voyez comme ça c’était tout de suite ben plus gai ! ".
C’était biau, mais pas également pour tous. Dans ce temps là, en effet il y avait trois classes pour tous les voyages, y compris le dernier : la première pour les plus aisés, la deuxième ensuite et la troisième pour les moins bien lotis. Il y en avait alors pas mal à Mussy, y compris dans l’assistance, qui redoutaient le moment où, allant saluer le corps, on mettait son obole dans le plateau, bien en vue.
Alors, pour les enterrements, la famille donne une somme d’argent à l’Abbé qui la transforme en petites pièces. Il les met dans une sébile et l’argent est distribué dans l’assistance pour qu’à l’offerte, tout le monde ait de quoi donner. Cela surprenait les étrangers, qui avaient tendance à mettre leur sous dans la sébile, au lieu d’en prendre, et l’enfant de chœur chargé de l’opération avait tout le mal du monde à les persuader.
Il était un peu plus tard payé de sa peine, car les familles les plus aisées donnaient six pains et six bouteilles de vin, celles moins aisées quatre pains et quatre bouteilles de vin et les plus gênées, deux pains et quatre bouteilles de vin et ce sont les enfants de chœur qui recevaient les pains et le vin destinés au curé.
Si bien qu’en fin de compte, il y avait compétition pour servir les « deuils » comme on dit à Mussy : d’abord on manquait l’école, et puis on avait l’impression de nourrir sa famille, comme papa.
Il y a aussi deux vieilles bigotes : Colson la vieille de 81 ans et Colson la jeune de 80 ans. Elles sont petites, habillées en noir et très pieuses. Elles ne sont pas du village et on ne les aperçoit qu’à l’église où elles se rendent en marchant courbées et à pas menus.
A confesse, il y a parfois des oreilles qui traînent. Les filles de la chorale écoutent. L’une d’entre elles confesse que son fiancé l’a embrassée. L’Abbé réplique : "Embrasser n’est pas mordre ! ".
Un suisse officie lors des cérémonies. Il est vêtu comme un suisse pontifical avec bicorne et hallebarde. Sa femme, l’Estelle, a un fort penchant pour la boisson. Un soir de Noël, elle crie : "c’est la nuit rouge, la communion ne sera pas donnée ! ". Au cours d’un chemin de croix, elle implore : "Ministre des Finances, priez pour nous". Quand l’Abbé l’entend dire : "Monsieur le Curé, donnez–nous la foi ! ", il lui répond : "Oui, oui ! Plus une chopine avec ! ".
Il se rend à pied à Gommeville pour enseigner le catéchisme. Les enfants ne veulent pas s’asseoir sur le premier banc car, lorsqu’il est en colère, il donne des coups de missel !
Quand l’Abbé Tinet mourut, ses cousins cussangeois (originaires de Cussangy) n’ont pas voulu payer les frais d’enterrement et la Madeleine, la communiste, apprend qu’il va être enterré dans la fosse commune à Troyes. Elle est outrée et vient rendre visite à une famille de Mussy. "Qu’est–ce que j’apprends ? Tinet dans la fosse commune ? Vous qui êtes religionnesque, vous allez faire quelque chose ! Nous, les communistes, on a déjà fait une quête. Il y a tant."
L’Abbé repose au cimetière de Mussy parmi nous, grâce à la communiste et à la religionnesque.
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Tôt, ce matin–là, Antonin sort de sa maison pour se rendre à l’usine. Il habite une vieille maison, toute en pierre, avec Marie, sa femme. Même le toit de sa maison est en lave soutenu par une solide charpente en chêne. A l’intérieur, le sol de la cuisine est en terre battue. Il y a une cheminée immense : c’est le cœur de la maison. Un peu plus loin, dans le mur, se trouve le four à pain. Chez son voisin, le four est dans une autre pièce, la chambre à four. Quand Antonin cuit le pain, ça sent bon et pendant que le four refroidit, il met les pommes et les quetsches à sécher.
Dans un coin de la cuisine, se tassent contre le mur, un lit, une table de nuit avec la chandelle et le pot de chambre. Le lit, c’est simplement une couchette en bois avec, dessus, un grand sac de toile empli de paille d’orge. Pour chasser les puces, Marie a ajouté des feuilles de noyer. Par-dessus, lit de plumes, draps de toile et couverture en laine de mouton sont bien étirés grâce au bâton de lit qui permet de refaire le lit aisément et de taper édredons, traversins et oreillers en plume. L’hiver, Marie chauffe le lit avec une bassinoire ou un moine.
La cuisine a un évier en pierre ou pierre à eau par où l’eau s’écoule dehors. Antonin et Marie vont chercher l’eau aux pompes à levier ou à roue dans les ruelles. Certains favorisés, dans le village, ont une pompe mais ils ne sont pas nombreux.
Antonin travaille à l’usine d’emballages. Dès la sortie de l’école, il avait à peine quatorze ans, il a rejoint son père à l’usine. Il s’est formé sur le tas. Dans l’usine qui emploie six cents ouvriers habitant tous Mussy et les alentours, les femmes fabriquent des cageots. Le cageot de Mussy, c’est l’ancêtre de la cagette actuelle. Trente mille à soixante mille cageots sont fabriqués par jour.
Antonin travaille avec les autres hommes à l’approvisionnement en bois. Les grumes sont stockées dans le parc à bois. Elles sont soulevées et déplacées avec un palan. Antonin se méfie car il y a quelques années, le palan a lâché et son père a été tué. Un cousin avait déjà été victime du même accident. Un ouvrier a eu la cage thoracique enfoncée par la chute d’une grume. Lui n’est pas mort. Antonin n’oublie pas tout ça !
Antonin se sert d’un pic pour bouger les grumes. Il faut être vigilant car quand il manque la grume, il reçoit le coup de pic dans les jambes. Les grumes sont écorcées à la hache puis trempées dans les étuves pour être ensuite déroulées en feuilles et ces feuilles superposées formeront le contre-plaqué. Quatre hommes alimentent l’atelier des billots. Le travail est dur, physique. Les accidents sont nombreux. D’ailleurs, il n’y a pas de semaine sans accident. Le frère de sa voisine a été très grièvement brûlé après être tombé dans une étuve. Antonin sait qu’il y a eu un ventre entaillé par une scie circulaire, un bras broyé par un tapis ; un bras sectionné dans un pignon. Tôt, un matin de l’hiver dernier, un ouvrier qui sciait des planches, s’est sectionné un doigt. Il faisait très froid. L’ouvrier a posé son doigt coupé sur l’étagère et a continué de travailler. Il attendait l’arrivée des contremaîtres. Les ouvriers sont durs, très durs !
Marie, la femme d’Antonin, travaille dans cette usine depuis ses treize ans. Elle aussi s’est formée sur le tas. Dans l’atelier des femmes, le bruit est assourdissant car il y a vingt énormes machines à piquer. Le travail est éprouvant. Elle travaille à la pièce et il faut tenir la cadence. Quand la pause casse–croûte arrive, elle continue encore dix secondes, vingt secondes pour avoir un cageot d’avance mais parfois, la chaîne reprend plus tôt. Le patron augmente la cadence. Quand une femme s’absente pour aller aux toilettes, une autre prend sa place car la chaîne ne s’arrête pas. Il faut travailler vite, toujours vite. Marie agrafe les différentes parties du cageot et parfois, les agrafes vont dans les doigts : c’est un vrai calvaire.
Pour fabriquer un cageot, il faut quatre ouvrières : deux mouleuses, la démouleuse, la piqueuse de bandes. Là, le cageot passait sur une autre machine avec laquelle une ouvrière piquait les petits bouts. Sur le moule, en haut, on met le fond, en un ou deux morceaux (c’était du cinq millimètres de sciage) puis on place quatre éventails à droite, quatre éventails à gauche, trois larges devant et trois larges derrière.
A onze heures, chaque matin, la sirène de l’usine sonne : elle annonce que le médecin est arrivé à l’usine. Si le travail est dur, l’ambiance de l’atelier ne l’est pas moins. Les anciennes ne sont pas complaisantes avec les jeunes. Et puis, il y a les bureaux et les ateliers. La dernière employée au bureau est chargée de faire les courses dans les ateliers : elle est bousculée, insultée. On lui jette parfois des morceaux de bois.
Seuls les hommes qui alimentent l’atelier des billots sont acceptés par les femmes et si un autre s’aventure dans l’atelier, c’est à ses risques et périls : il ressort …en caleçon !
Pour les gens, l’usine d’emballage, c’est l’épouvantail. Elle fait peur car le travail est éprouvant, l’ambiance dure. Quand des parents cherchent du travail pour leurs enfants, ils vont d’abord chez Ferriot, puis à l’huilerie et en dernier à la société d’emballage que tout le monde appelle péjorativement : L’USINE.
Marie aime bien la sortie de l’usine. Les ouvriers quittent les ateliers en même temps, comme un troupeau. Il y a parfois la Madeleine avec son phonographe. Elle est communiste et, quand les ouvriers sortent de l’usine, elle diffuse l’Internationale. Seulement, sur le même disque, il y a "le sommeil de l’Enfant Jésus". Ca fait un peu désordre !
Pendant la guerre, Marie a fait grève. De Gaulle avait demandé aux ouvriers un quart d’heure de grève sur leur lieu de travail. Lors de la pause devant le poêle, Marie reste à son poste. Le contremaître lui demande de rejoindre les autres. Elle répond : "Non, je fais un quart d’heure de grève comme De Gaulle l’a demandé ! "
Ainsi va la vie à l’usine d’emballage, difficile avec ses drames où chacun se révèle vaillant, travailleur mais aussi parfois âpre et dur.
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René travaille à la pointerie. Ici, on fabrique des pointes, des clous. Il n’y a pas de femmes car la manutention est lourde. Les rouleaux de fil de fer sont difficiles à manier. Ils arrivent à la gare et c’est le Louis qui va les chercher avec sa charrette tirée par le cheval. Mais le cheval s’arrête à chaque bistrot. Quand on dit à Louis : "Tu viens boire un coup ? ", il crie à son
cheval : "Hue !", mais si on lui dit : "Tu viens, j’ te paie un coup ? ", il répond : "Ho ! ".
Les clous et les pointes sont conditionnés dans des paquets en papier kraft de quatre épaisseurs fermés par une ficelle. Le père de René vient donner un coup de main pour trier les pointes quand il n’y a plus de travail dans les vignes. Quand un villageois a besoin de pointes, il va voir le patron qui le mène dans l’atelier et lui dit : "Sers–toi ! " et lorsqu’on lui demande combien on lui doit, il s’exclame : "Fiche-moi la paix ! ".
Pour être embauché à la pointerie, point besoin d’être habile ouvrier : il suffit d’être musicien. Le patron demande : "De quel instrument sais–tu jouer ? ". En effet, il a monté, sur ses propres deniers, une superbe fanfare. Il a fait venir un chef de musique militaire qui est le président de la société de musique.
La fanfare participe à des concours. Elle est allée au Havre, à Dieppe, à Ostende en Belgique. En 1930, les jeunes mariés sont partis en voyage de noces en Suisse avec la Musique.
Le patron de l’usine était célibataire et athée. Lorsqu’il est décédé, sa gouvernante, qui est portée sur la soutane, veut qu’il soit enterré à l’église. Elle déclare que les derniers jours il s’est repenti. La famille arrive en train. Elle voit le curé et dit : "Pas de curé !"
Le curé repart. Puis on le fait revenir et repartir. Le curé est furieux.
Après les obsèques, lors de la lecture du testament, une cousine découvre qu’elle n’est pas couchée sur le document. Elle se rend immédiatement au cimetière et reprend sur la tombe sa couronne de fleurs en perles. Elle a rampoutié sa couronne !
Il n’y a plus d’ancien aujourd’hui pour évoquer le travail à la pointerie. Ils ont tous quitté ce monde en emportant notre mémoire.
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Au XIXe siècle, Mussy comptait encore plusieurs moulins. A la place de celui du haut, l’huilerie s’est installée aux environs de 1910. On fabrique l’huile de pavot appelée oeillette, l’huile de tournesol, l’huile de noix et une huile à partir d’une plante de la famille du colza et qu’on appelle navette. Tout autour de l’usine, ça sent bon. Au bord de
la Seine s’étendent des champs bleus, les champs de pavots. C’est une culture d’appoint pour les ouvriers.
Mais en 1943, l’huilerie brûle : un vrai chalumeau ! L’activité reprend et l’usine se spécialise dans la moutarde et les condiments (cornichons, câpres, olives). C’est la marque REMA d’après les prénoms René et Marguerite, prénoms du patron et de sa femme.
Yvonne travaille à l’usine de cornichons et de moutarde depuis ses quatorze ans. Les journées sont longues : neuf heures et demi de travail par jour plus le samedi matin.
Les sacs de graines de moutarde pèsent de 80 à 100 kilos. Les graines sont écrasées par des meules de pierre entraînées par les eaux de la Seine dans l’atelier de fabrication qui est le domaine des hommes car le travail est très physique.
Yvonne est devant une table recouverte d’une toile cirée. Elle a un grand tablier en toile cirée et des bottes en caoutchouc pour se protéger du vinaigre, un vinaigre suffocant, à l’odeur tenace. Quand elle sort de l’usine, souvent on lui dit : "tu pues le vinaigre ! ". En ce moment, elle est dans l’atelier de gros conditionnement. Elle met les condiments et la moutarde en seaux. Parfois elle est au petit conditionnement pour mettre moutarde et condiments en verres, bocaux et tubes.
Elle trie les cornichons, les calibres et les met dans le vinaigre. Ses doigts sont tout fripés et il vaut mieux ne pas avoir de petites blessures ! Lorsqu’elle travaille à ce poste, elle a le droit de manger un casse–croûte lors d’une courte pause. Oh, ce n’est pas une attention du patron mais tout simplement parce que les odeurs de vinaigre sont très agressives pour l’ouvrière et il faut tenir le coup !
Pendant longtemps les verres ont été fermés par un couvercle en métal, fixé par une sertisseuse. Depuis peu, les couvercles sont en plastique. L’hiver, ils sont durs, trop durs. Elle les chauffe sur le poêle pour les poser. Parfois, ils fondent. La machine pour poser les couvercles en plastique n’a pas marché tout de suite.
Cette nuit, les hommes ont oublié d’arrêter les malaxeurs de moutarde et la moutarde a continué de couler. Ils sont venus chercher Yvonne et les femmes qui habitent au plus près de l’usine pour nettoyer. Elles ont jeté la moutarde dans la Seine et sont retournées se coucher. A 7 heures elles ont repris le travail.
Un jour de cet hiver, le camion n’a pas pu venir jusqu’à l’usine à cause des barrières de dégel. Yvonne et les autres ouvrières ont chargé la petite camionnette et ont rejoint le camion à Saint-Julien-les-Villas. Elles ont fait les allers et retours nécessaires jusqu’à ce que le camion soit plein. Elles ont travaillé jusqu’à deux heures ou trois heures du matin. A 7 heures, elles étaient toutes à leur poste !
Irène, l’amie d’Yvonne n’a travaillé que deux mois dans l’usine. Tous les jours, elle pleurait avant d’embaucher car il y a beaucoup de méchanceté entre les femmes et seules quatre ou cinq d’entre elles ne sont pas agressives. Même dans les bureaux, l’ambiance est pénible. Ainsi une secrétaire s’est évanouie en découvrant une couleuvre dans son tiroir. Elle avait joué un mauvais tour à une collègue qui s’est vengée !
Malgré tout, les femmes s’amusent parfois, quand le patron n’est pas là : Lolotte danse sur une table, Yvonne, qui n’est pas dans son atelier, se cache dans un tonneau pour échapper au patron. Quand il manque du personnel, le patron vient donner un coup de main. Un jour, Yvonne entend qu’on l’appelle. Un tuyau a éclaté et le patron est couvert de moutarde. Elle pouffe de rire.
"Arrête donc de nicasser, grand con" s’écrie-t-il, "tu vas peut–être m’aider à me nettoyer ?"
Yvonne enlève la moutarde mais arrivée à la braguette du pantalon, elle n’ose pas !
Dans l’usine, tout est vitré, tout est surveillé. On raconte qu’à l’embauche d’une secrétaire le patron a dit : "vous me direz s’il y a de petites histoires !"
Outrée, l’employée s’est écriée : "Pour qui me prenez-vous ? "
Le patron harcèle la secrétaire et chaque fois qu’il y a de la poussière sur le poêle, il écrit avec le doigt : « salope ! »
Avec le neveu du patron ce n’est pas mieux. On raconte qu’il falsifie les cartes de pointage.
Les femmes se jalousent. Depuis quelques temps, une secrétaire se coiffe avec un chignon et un jour, une femme de l’atelier arrive coiffée de la même manière. Le directeur appelle l’ouvrière et lui demande d’enlever ses épingles.
Yvonne aurait bien aimé travailler chez Ferriot, la fabrique de jouets en bois. L’ambiance y était plus familiale ! Il y avait trois ouvrières qui venaient de Noiron, en Côte d’Or, à 4 kilomètres environ de Mussy. Elles faisaient le parcours à pied, tous les jours, par tous les temps. On ne ménageaient pas ses jambes, autrefois ! Elles ont acheté un vélo avec leur première paye.
Une pub paraissait dans la presse (on disait alors une réclame). Elle vantait l’effet miraculeux des pilules orientales qui faisaient le "pectoral coquin" comme aurait dit Marcel Aymé !
Certaines ouvrières, séduites par la promesse d’un buste avantageux en ont acheté par correspondance. Hélas, trompées, déçues, elles ne savaient plus comment payer. C’est le patron, soucieux de calmer les inquiétudes de ses ouvrières crédules qui a renvoyé lui-même les pilules !
Un jour, -c’était le printemps-, il faisait beau, les petits oiseau chantaient dans les tilleuls de la Promenade. Les ouvrières, réunies dans l’atelier autour d’une table, travaillaient gaiement. Elles chantaient, elles aussi : « j’ai soif de tes baisers brûlants ! ». Le patron, qui passait par là, leur a dit en rigolant : « Et vous croyez que ça va vous désaltérer ? ».
Ah oui ! si Yvonne avait pu choisir, elle n’aurait pas hésiter une seconde !
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Moi, Antonin, en 1932, j’ai commencé à cinq ans la gymnastique avec la société de gymnastique créée par Monsieur Cailletet, directeur de la pointerie. J’y suis resté jusqu’à mes 24 ans. Dédé Noël, ouvrier à l’usine était notre moniteur. L’entraînement, très strict, avait lieu par tous les temps sous la halle. L’hiver, nous n’avions pas chaud car la halle était à tous vents !
Les garçons étaient habillés de culottes courtes blanches, de chaussettes noires, de chaussures blanches, d’une large ceinture élastique noire et portaient une cocarde verte. Les filles avaient un haut blanc, une jupe blanche avec une large ceinture verte, des socquettes et des chaussures blanches. Elles portaient une large cape verte l’hiver. L’été, la cape était pliée sur le bras.
Nous étions très nombreux, environ quatre-vingt.
J’ai pratiqué la corde lisse, la corde à nœuds, l’échelle de corde, les anneaux, le cheval d’arçon, les barres parallèles et les barres fixes.
Nous avons gagné beaucoup de concours et nombreuses ont été les récompenses.
Moi, Joséphine, pour le carnaval en février, je me déguisais. Il commençait le jour du mercredi des Cendres et ce, depuis le XVIIe siècle. Le carnaval durait un mois. Après le travail, les gens se déguisaient. Il y avait des contrebandiers, des militaires, des haltérophiles, des bandits etc… On les appelait les carnaviots.
On fabriquait un mannequin qui représentait un personnage ou un événement de la vie. On le promenait dans tout Mussy puis, après l’avoir jugé dans un grand bal chez le Bibi Masson, on le brûlait près des Halles. Plus tard, ce fût sur la place de la mairie. Ainsi on a brûlé la vie chère, la Goyard. C’était une vieille femme laide. Après la guerre, on a brûlé Hitler.
Une année, le Lucien s’est déguisé en singe et on l’a promené partout dans une cage installée sur une charrette.
On allait ainsi déguisés à pied, à cheval ou en voiture jusqu’à Chatillon et Bar-sur-Seine. Ces cavalcades duraient le temps du carnaval.
Moi, Marie, pour la Fête-Dieu, je décorais un panier avec des rubans et je le remplissais de pétales de roses, de pivoines et de boules de neige. Je jetais ces pétales lors de la procession à l’église.
Je participais aussi à la procession du 15 août qui allait jusqu’à Saint Roch. La statue de la Vierge était portée par deux jeunes filles voilées du voile blanc de communiantes, une troisième marchant en tête en portant la bannière. On passait tous sous la Vierge et chacun faisait un vœu.
Moi, Yvonne, j’aimais bien la fête patronale de Mussy. C’était pour la Saint Pierre Saint Paul fin juin. Alors on la fêtait le premier dimanche de juillet avec le retour de fête le dimanche suivant. Je me souviens qu’avant la guerre, les manèges étaient tirés par les hommes. Il y avait "la vague de l’océan", "les truellos", sièges accrochés au bout des chaînes.
J’allais danser au bal Fauveau sous le chapiteau avec l’orchestre Fauveau auquel a succédé Bibi Jazz, également sous chapiteau. Je me souviens que dans l’orchestre Fauveau, une femme jouait du violon. Aujourd’hui, la salle des fêtes de Mussy est construite sur le modèle de la salle de bal Fauveau. Je portais une robe longue et pour le repas, on était servi à table.
Moi, René, je fêtais le premier mai avec les autres garçons du village, très vieille tradition. Nous allions couper soit des charmes, soit des bouleaux : c’était les baliveaux. On les chargeaient dans les charrettes à bras. A partir de minuit, on accrochait un baliveau devant la maison où il y avait une jeune fille à marier. Le dimanche d’après, les jeunes filles se collectaient et préparaient des gâteaux : c’était " l’arrosage des mai ".
Nous coupions aussi huit genévriers. On les accrochait au huit bistrots et on nous offrait à boire le lendemain.
Pendant cette nuit, on ramassait tout ce qu’on trouvait près des maisons : paillasson, pots de fleurs, brouettes, charrettes, herses, séchoirs à linge et même les bancs de la promenade, en pierre… On amassait tout sur la place et le lendemain, les gens venaient chercher leur bien.
Moi, Irène, j’aimais beaucoup la Saint Eloi. Je préparais des fleurs en papier pour décorer le gros bouquet de laurier des forgerons. Ils le promenaient dans le village puis il était béni pendant la messe. A la sortie de l’office, chacun cassait une branche de laurier et on la gardait à la maison pour la cuisine.
Tous ont dans leur mémoire les fêtes d’école magnifiques. Elles étaient grandioses autrefois.
Et l’Harmonie Municipale ! Le grand-père Charles était le chef de musique. Il y avait répétition toutes les semaines dans la salle qui se trouve au-dessus de nous. L’hiver, il montait le bois pour allumer le poêle ainsi la salle de répétition était prête pour le soir. Avant d’être chef à la baguette, Charles jouait du baryton. Ses fils faisaient partie de la trentaine de musiciens : René, qui devint chef de musique plus tard, jouait de la basse et Julien du saxophone. Tous trois ont appartenu à un orchestre avant la guerre et animaient les bals. Il fallait les voir chez eux le soir astiquer leurs instruments, répéter leurs partitions pendant que Marie dite "Marie Préfet" repassait les tenues ! Bien sûr, ils ont fait leur service militaire dans la musique de leur régiment !
Personne n’a oublié les bals chez Bibi Masson puis chez Dupuis. Chez Dupuis, on ne pouvait pas danser la valse parce que le plancher bougeait ! Dupuis mettait la musique et tapait sur une grosse caisse et parfois, il s’endormait tout en tapant !
Derrière la glace de la salle de bal de Bibi Masson, on glissait des petits mots écrits sur des petits papiers.
Que de fêtes ! Beaucoup de fêtes dans ce village ! En somme, une vie de village, une vraie vie de village !
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Qu’est-ce qui s’étirait comme un serpent Joyeux et vivantQui scintillait sous le soleilEt qui a vécu de 1776 à I971 ? C’est le canal !
Il prenait l’eau dans la Seine et y retournait ! Il n’était pas très propre car il servait de tout à l’égout mais l’eau courait paisiblement tout le temps et les canards mangeaient tout. Mais il attirait les rats et les cafards. Il était habité par des poissons : la loche appelée motelle par les anciens, l’épinoche sans oublier les vairons. La vase l’envahissait peu sauf vers l’abreuvoir où les troupeaux venaient boire mais il était curé tous les ans. C’était un sacré travail qui occupait une vingtaine d’hommes !
Le canal était bordé d’un muret sur lequel les enfants couraient et quelquefois tombaient dans l’eau froide et peu profonde. Ils leur arrivaient même de monter à cinq sur un vélo sur le mur ! Beaucoup de sottises mais peu d’accident grave. Toutefois, la petite fille de la Yaya s’y est noyée, une autre fillette de dix huit mois a été sortie de justesse et quelques années plus tôt, une femme s’était suicidée en se couchant dans l’eau du canal.
Pourtant, il y avait peu d’eau, environ cinquante centimètres. Tous allait se baigner dans la Seine, à la palissade. C’est là-bas qu’ils apprenaient à nager avec des bottes de jonc.
Quatre ponts enjambaient le canal : un vers l’église, un vers le bout de la rue du sac, un rue du Bâtard et le quatrième, près de l’actuelle pharmacie, portait la croix, lieu de rassemblement de toute la jeunesse. Cette croix est maintenant située derrière l’église. Tout le long du canal des lavoirs dont deux étaient couverts, permettaient aux femmes de laver le linge. Le lavoir couvert était un grand lieu de vie et d’échange. Les femmes avaient leur place attitrées et quand elles frottaient, battaient ou rinçaient leur linge, les discussions allaient bon train. Elles parlaient toutes ensembles ! D’ailleurs, quand on se trouvait dans un lieu où les conversations étaient animées, on disait toujours : "on se croirait au lavoir couvert ici ! "Dans le quartier de la rue du Bâtard, les familles se retrouvaient les soirs d’été. C’est là, qu’un 13 juillet, lors du passage du défilé, le Calicot tira plusieurs coups de fusil comme le voulait la coutume. Malheureusement, il sectionna les fils du téléphone. Les gens du défilé se prenaient les pieds dedans. Le Calicot ne reconnut pas les faits. Pourtant, lorsque le maire averti, apparut, le Calicot s’enferma chez lui.
Le jour de la lessive, les femmes arrivaient avec la brouette sur laquelle était la lessiveuse fumante d’avoir bouilli, la brosse et le battoir. Elles s’agenouillaient dans leur truélot, une caisse en bois au fond de laquelle il y avait de la paille pour ne pas avoir mal aux genoux et elles lavaient leur linge ou celui d’autres gens.
Le linge de maison n’était lavé que deux ou trois fois par an. En attendant, il était gardé en dehors de la maison. On le posait sur des perches et dans les bonnes familles on disait qu’on faisait la lessive quand la perche cassait !
Ainsi, au château, la lessive avait lieu tous les trois mois et à l’hôtel des voyageurs, deux fois l’an seulement mais elle durait trois jours !
Mais comment cela se passait–il ?
Le linge trempait la veille avec des cristaux de soude. C’était l’essangeage.
Les draps trempaient dans une lessiveuse énorme avec de l’eau et de la cendre. Puis, on faisait bouillir et du champignon de la lessiveuse coulait l’eau savonneuse brûlante. On ajoutait dans un petit morceau de mousseline un peu de bleu pour blanchir le linge.
Quand le linge était retiré, le liquide qui restait servait à lessiver les planchers. C’était le léchu.
Les lainages n’étaient lavés qu’une fois par an avec de la saponaire, une plante aux fleurs mauve. Toute la plante était utilisée : tige, racine, feuilles …
Pour le linge de couleur foncé, bleu ou noir, on utilisait le lierre trempé dans l’eau.
La lessive était une corvée et nos lavandières étaient vaillantes. Heureusement, il y avait le lavoir couvert et sa gazette….
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Des loups à Mussy, il n’y en a pas. Enfin, il n’y en a plus. Je défie les meilleurs chasseurs de Mussy de dire qu’ils ont rencontré un loup dans les bois. Quant aux dames, si elles ont vu le loup, c’est une autre histoire, et nous n’en parlerons pas. Mais il y en a eu, il y a longtemps, très longtemps et il est dit que de 1782 à 1809, Pierre Rousselot, cultivateur au hameau de l’Isle, s’est occupé constamment de la destruction des loups. Dans cet intervalle de temps, il a pris, dans des pièges, plus de 160 loups ou louves. On avait proposé, en 1784, de l’exempter de la taille.
Le 23 novembre 1791 "le pâtre du gros bétail se plaint que la vacherie n’est point en sûreté par la grande quantité de loups qui parcourt le finage… En conséquence, il requiert pour la conservation du troupeau qu’il soit fait une traque sur le-dit finage pour détruire et éloigner ces animaux."
Chaque année, une ou plusieurs chasses aux loups sont organisées dans tous les cantons du département. Des commissaires sont nommés dans chaque canton pour diriger l’opération de ces chasses au règlement strict. Ainsi, "il est expressément défendu de tirer sur aucuns autres animaux que les loups et autres bêtes puantes : si quelques pièces de gibier sont abattues, les gardes s’en saisiront ; et en cas de résistance de la part de celui qui en aurait tué, il sera tenu de se retirer de la chasse."
"Aucuns des citoyens admis à la chasse, ne pourront porter des bonnets de poils, attendu les méprises dangereuses que cette coëffure peut occasionner dans l’épaisseur et l’obscurité des bois."
"La tête de l’animal et le procès-verbal seront envoyés à l’administration centrale qui délivrera un mandat au profit de celui qui aura tué l’animal."
De nos jours, la mémoire des loups est restée vivace. On en reparle dans le Mercantour, dans le Gévaudan où ils s’attaquent de nouveau au brebis.
Et ces fameux commissaires, chargés d’organiser les traques ils existent toujours : ce sont les « lieutenants de louveterie ».
"Si tu vois un loup gris,
Ce sera la pluie.
Si tu vois un loup blanc,
Ce sera le vent,
Si tu vois un loup noir,
Quel désespoir !"
Mais d’où vient le loup ? D’après le Roman de Renart, lorsque Adam et Eve eurent croqué la pomme défendue, le Créateur fut tellement fâché qu’il les chassa pour toujours du Paradis. Les regardant s’éloigner, tristes et nus, il eut pitié d’eux et leur tendit un dernier cadeau : une baguette magique ! Il leur dit : "Il suffit de frapper la surface de la mer avec cette baguette pour voir arriver quelque chose de bon."
Adam prit la baguette et la tourna dans tous les sens en se demandant comment ce simple morceau de bois allait pouvoir leur faciliter la vie. Il décida de l’essayer sans tarder.
Il serra bien fort la baguette entre ses mains et entra dans l’eau. Quand il eut de l’eau jusqu’aux genoux, il fendit la surface de la mer maladroitement. Il y eut un grand remous et apparut une brebis qui sortit de l’eau en secouant sa toison.
Adam la regarda. Elle avait l’air dodu et docile.
"Prends bien soin de cette bête, dit–t-il à Eve, elle nous donnera des vêtements chauds et du fromage pour manger avec notre pain."
Mais Eve trouvait qu’une seule brebis était un bien maigre troupeau pour nourrir et vêtir les nombreux enfants qu’ils auraient bientôt. Elle prit la baguette et frappa l’eau à son tour.
"Aïe, aïe, aïe ! s’écria Eve, cet animal ne ressemble pas du tout à la brebis !"
Il avait un pelage gris, des oreilles pointues, une longue queue touffue, des yeux étranges et des dents, des dents faites pour croquer autre chose que des pommes !
C’était un loup !
Eve aurait bien voulu apprivoiser le nouveau venu, lui passer la main dans son épaisse fourrure mais l’animal menaçant retroussait les babines pour montrer ses crocs. Effrayée, Eve recula et le loup en profita pour se jeter sur la brebis et l’emporter vers les bois pour la dévorer tranquillement.
En voyant disparaître leurs fromages et vêtements chauds, Adam se mit en colère. Il saisit la baguette. Oh, il aurait pu battre sa femme mais l’idée ne lui était pas encore venue. Il se contenta de fouetter la mer avec rage.
Un chien bondit hors de l’eau et s’élança à la poursuite du loup. De terreur, le loup lâcha la brebis et se sauva dans la forêt. Adam était content. Il flatta le chien.
Depuis ce jour, le chien est l’ami de l’homme et le loup vit dans les bois. Il en sort parfois pour s’approcher des bergeries et des poulaillers mais le chien veille.
« Prends garde au loup, bergère
Prend garde au loup !
Il est au bois qui regarde, qui regarde,
Il est au bois qui regarde tes brebis.
Veilles-y bien, bergère, veilles-y bien.
Il faut veiller mieux que lui, bergère, veille
Il est au bois qui regarde tes brebis. »
Remerciements
Les adhérents des associations Les Amis de la Lecture et du Patrimoine et Pour Mieux Vivre Ensemble adressent leurs sincères remerciements à Madame Martine Caillat, conteuse à l’A.M.A.C de Lyon, à Madame Chantal Valentin, conseillère pour le livre et la lecture à la DRAC Champagne Ardenne, à Mademoiselle Delphine Cora de la médiathèque de Mussy sur Seine et à la Municipalité de Mussy sur Seine.
Le groupe de collectage se composait de : Madame Paulette ABEL, Madame Georgette BOUQUET, Madame Carmen DUCREUX, Madame Lucette ENCINAS, Madame Camille KAHN, Madame Monique LAGOUTTE, Madame Muguette LANNES, Mademoiselle Maria MARTIN, Madame Simone POTHERAT-LAPIERRE, Madame Simone RONDEL, Madame Monique SERVONNAT-LAGOUTTE, Madame Lucienne STAPF, Monsieur Georges LAGOUTTE, Monsieur Pierre STAPF