Autres articles de cette rubrique :
Face à ces exigences de l’administration, le maire en vient souvent à émettre des réticences ; s’agissant des produits agricoles, par exemple, il oppose que la commune ne possède pas une grande surface de culture :
D2, R3 12 juillet 1915 :
« Ma commune ne possédant pas une grande surface de culture et n’ayant pas une récolte abondante de foin, puisque d’après les déclarations des cultivateurs, toutes les récoltes sont réservées pour les besoins locaux... »
Plus tard, le maire en vient même à protester contre la surcharge de travail qu’entraîne cette lourde organisation (D3, R3 p.158). C’est ainsi qu’il lui revient de répartir entre les habitants les 30 quintaux de pommes de terre imposées par le service de réquisition.
Mais :
D2, R3 p.202, 3 avril 1916 :
« Les agriculteurs me signalent que par suite de la pourriture, ils ne pourront pas livrer les quantités demandées ; en effet, il y a 2 mois, par suite de la crue de la Seine, toutes les caves ont été inondées... »
Il faut aussi fournir pour chaque semaille la surface à ensemencer et la quantité de chaque semence nécessaire.
En décembre de la même année, il est demandé de recenser le cheptel bovin et porcin.
Pour le vin, c’est de la surface plantée et du rendement dont il faut rendre compte ; on doit donc demander aux épiciers, au nombre de 10, de faire le recensement de leurs clients en précisant le nom de chaque famille et le nombre de personnes qu’elles comportent (D2, R3 p.356).
S’agissant de la viande, on doit prendre les dispositions nécessaires, draconiennes, pour les viandes importées (D2, R3 p.101).
Cependant, toutes les réquisitions n’ont pas ce caractère impératif, on fait appel parfois à la bonne volonté des habitants quand il s’agit notamment de matériaux « stratégiques » : plomb, cuivre, or, argent... :
D2, R5 p.213 :
« ... Les particuliers qui auraient à vendre alambics, bassines, et tous objets en cuivre rouge, non étamé, ainsi que tuyauteries, casseroles et récipients divers, sont informés que ces objets sont achetés au prix de 4 francs kilo pour les fabrications de guerre . »
ID, p 183 :
« ... Les versements d’or sont toujours reçus ; le maire invite les personnes qui possèdent encore des pièces en or à en faire l’échange le plus tôt possible dans le but de la défense nationale... »
Nos archives ne disent pas quel fut le résultat de ces « appels au peuple » qui supposent de sa part beaucoup de désintéressement ; elles dénoncent en revanche certaines pratiques douteuses.
Le maire signale ainsi au préfet des hausses illicites sur des produits de première nécessité comme le sucre, le fromage, les œufs, le bois de chauffage.
D2, R3 p.207, 19 avril 1916 :
« Le maire demande comment il se fait que la moitié des cultivateurs vend son lait 0,20 Francs et l’autre moitié 0,25 francs . »
Le maire en vient à envisager des mesures pour « mettre fin aux manœuvres d’accaparement et d’ajustage qui faussent le prix des denrées » (D2, R3 23 novembre 1916), car cela peut aller loin ; c’est ainsi que « tous les moutons sont stockés par les courtiers et personne ne sait où ils sont » (D2, R3 p.143).
Résultat de tout cela : la mésentente s’installe entre les fournisseurs qui « ajustent » leurs prix et leurs clients qui ne l’entendent pas de cette oreille, comme, par exemple, l’intendance militaire (D2, R3 p143).
Il arrive aussi que l’on se heurte à des refus collectifs : les boulangers manquent de farine ; en mai, celle-ci est taxée mais les artisans s’y opposent en s’appuyant sur leur syndicat ; de ce fait, en juin, la farine fait toujours défaut.
A leur tour, les charbonniers vont faire des difficultés, arguant des difficultés de transport ; le maire leur réplique sèchement :
D2, R3 p 432, 30 juin 1917 :
« Etant moi-même industriel, je connais la question des transports, mais de 10 à 20 tonnes, vous avez toute latitude et le chargement d’un wagon de 12 tonnes ne souffrira aucune difficulté... »
A ces soucis lancinants du maire et de ses adjoints, s’ajoute pour eux l’obligation qu’ils ont d’assurer en priorité la sécurité de leurs concitoyens, la guerre ne se fait pas oublier.
Il rappelle ainsi les mesures de sécurité à prendre en matière d’éclairage public ou intérieur ; cela contre l’intrusion éventuelle de Zépelins (D2, R5 p.186).
Il faut aussi veiller à l’identité des personnes :
D2, R5 p.193 :
« Le maire informe les habitants : ouvriers, entrepreneurs et toutes personnes qui se rendent fréquemment dans les localités du canton de Mussy ou limitrophes, qu’ils doivent se faire établir la carte d’identité qui doit leur tenir lieu de sauf-conduit » .
Et gare aux auteurs de « rumeurs » :
D2, R5 p.143 :
« Le maire informe les habitants que les nouvelles parvenant du front parviennent à la mairie et sont immédiatement transmises aux familles intéressées. En conséquence, les personnes qui colportent de faux bruits sont invitées à garder le silence si elles veulent ne pas être l’objet de poursuites judiciaires ».
Pourtant cela, le plus pénible pour le maire n’est pas là. Tour à tour policier, assistant social, commerçant, agent de recensement, lieutenant de louveterie, il ne peut oublier qu’il est aussi, et surtout, officier d’état civil, et à ce titre, chargé de transmettre aux familles les mauvaises nouvelles venues du front, une tâche délicate que la confusion et l’incertitude qui continuent de régner dans ce domaine en France ne fait qu’aggraver, car les dégâts humains sont désormais considérables.
Le maire va devoir en effet, et autant que faire se peut tenter de mettre fin à ces incertitudes et aux angoisses des familles, mais aussi tâcher de porter remède aux situations les plus dramatiques.
D2, R3 p 16, 21 juillet 1915 :
Le maire au chef de la comptabilité du 37e RI :
« J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir me faire connaître les renseignements qui vous ont été fournis sur le soldat Colas Henri dont la famille est sans nouvelle depuis le 15 juin... »
Un peu plus tard, constatant des lacunes sur l’acte de décès d’Arthur Macaire, il demande des précisions le 24 février 1916, qu’il renouvelle le 6 mars.
Il agit de même après avoir noté des erreurs dans les états civils de soldats décédés :
le soldat Malnoury (p.193),
le sapeur Roy (p.263).
Car il s’agit d’apporter des secours aux veuves, souvent chargées de familles nombreuses ; certaines ont jusqu’à 7 enfants, le plus souvent 3 ou 4, des bébés parfois. Ces demandes d’aide vont augmenter, en nombre et en valeur, notamment à partir de juin 1916.
Il devra aussi représenter le colonel responsable de ce devoir quand il s’agit de décorer à titre posthume des soldats « tués à l’ennemi ».
D2, R3 p. 37 :
Le commandant les dépôts d’infanterie des 32e et 4e subdivisions :
« J’ai l’honneur de vous rendre compte que j’ai remis la croix de guerre à leurs destinataires, savoir : Madame Louis Blaisot, mère du clairon Maurice Blaisot
Madame Jeanne Vuibert, mère du sapeur Albert Boise. »
Ainsi va la vie à Mussy après 3 ans de guerre ; ne voyant pas poindre la fin du cauchemar, pas plus que le reste de la population, quelque peu découragé, le maire en vient à offrir sa démission au sous-préfet.
D2, R3 p.183 :
« Bien résolu à me retirer, ainsi que je vous l’ai dit, je me vois dans la nécessité de vous adresser ma démission de conseiller municipal, que je vous prie de transmettre à Monsieur le préfet »
Bien entendu, cette démission sera refusée, et c’est encore à Monsieur Belton qu’il reviendra d’aborder à la tête de ses concitoyens un 4e hiver de guerre...