Autres articles de cette rubrique :
A nos visiteurs
Les registres dont nous disposons pour cette période sont en fait des recueils de lettres envoyées par le Maire à l’échelon supérieur relatant l’essentiel des mesures qu’il a eu à prendre pour faire face aux événements survenus dans sa commune.
Ces registres, contenant environ 500 pages, sont classés de 1 à 5, et apparaissent dans nos archives à la série D2. Les différentes lettres reproduites porteront donc les numéros de la série, du registre et de la page avec, éventuellement, l’indication de la date.
Ces précisions permettront à ceux qui le désirent et qui consulteraient nos archives de retrouver aisément les originaux de ces lettres.
Nous espérons que nos visiteurs, éventuellement nos lecteurs, pourront à partir de ces documents et des commentaires qui les accompagnent, se faire une idée de la vie qu’ont connue nos anciens pendant cette période difficile.
On pourrait penser que des signes avant-coureurs se sont manifestés au sein de notre commune compte tenu de l’extrême gravité des événements ; il semble qu’il n’en soit rien à en juger par le contenu du courrier dans le registre numéro 1, consacré aux années 1911, 1912 et 1913. Il faut attendre le mois d’avril 1914, dans le second registre pour qu’apparaissent des lettres laissant entendre qu’il y a lieu d’exercer une certaine vigilance. Auparavant toutefois, en février 1913, on avait procédé à une quête en vue d’installer des terrains d’aéroplanes, à Troyes et à Brienne ; l’année suivante, le 29 avril 1914, le maire, Monsieur Belton, rend compte au sous-préfet de l’incident suivant :
D2 R2, p.184 : « J’ai l’honneur de vous informer qu’un biplace militaire portant le numéro 32, venant du camp de Mailly et se rendant à Dijon a atterri sur le territoire de ma commune à 5h45 et est reparti à 6h45.Ce biplan, piloté par le sergent Petit, du centre d’aviation d’Etampes, a dû s’arrêter par suite du mauvais fonctionnement de la distribution. »
Un peu plus tard, le 29 juillet, le maire, répondant à une note du sous-préfet, l’informe en ces termes :
« J’ai l’honneur de vous signaler que deux particuliers ont installé chez eux des postes de téléphonie sans fil ».
A quoi le sous-préfet répondra par le télégramme suivant :
« Prenez mesures immédiates pour suppression des postes de téléphonie sans fil privés » .
Ce qui sera fait de concert avec le brigadier de gendarmerie (p.218).
Peut-on dire cependant que ces marques de vigilance traduisent une prise de conscience de la catastrophe qui se prépare ? Il ne semble pas et il faudra attendre le 4 août, soit le lendemain de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, pour que le maire, à la suite de la démission de son adjoint, fasse mention de la « gravité des événements » (p.222).
L’avant-veille en effet, c’est le premier adjoint au maire qui avait dû répondre aux injonctions du gouvernement, informer la population et prendre les premières mesures qui s’imposaient :
MOBILISATION, ETAT DE SIEGE
A« vis : le conseiller municipal faisant fonction de Maire avise les habitants que la mobilisation générale de l’Armée est décrétée, que le premier jour est le 2 août…
Le territoire national est en état de siège, des affiches spéciales concernant les mesures de police consécutives vont être apposées…
Toutes les communications qui lui parviendront seront affichées dans un tableau spécial…
La circulation de tous véhicules est interdite entre 6 heures du soir et 6 heures du matin…
Tous les détenteurs d’armes devront en faire le dépôt à la mairie… ».
1. la mobilisation générale et ses conséquences : pénuries et misère
D2, R2 p.248 :
« J’ai l’honneur de vous informer que l’une des boulangères de Mussy, Madame Plumay, vient d’interrompre son travail par suite du départ des hommes. Il ne reste pour assurer le pain à la population civile que deux pétrins qui risquent de se trouver arrêtés d’un jour à l’autre. Monsieur Plumay, boulanger, qui fait partie de la 23e section et est affecté à Troyes pourrait venir apporter son aide si l’autorité militaire voulait lui assurer un congé ».
Un autre boulanger, Monsieur Masson, partira à son tour (p.419).
Plus grave, si l’on peut dire, car le pain à cette époque prend une grande place dans l’alimentation, Mussy va se retrouver sans médecin :
Le maire au préfet de l’Aube :
« J’ai l’honneur de vous informer que non seulement la ville de Mussy, voire tout le canton, ne possède plus de docteur depuis le premier jour de la mobilisation de sorte que les malades restent sans secours, il faut attendre le soutien d’une dame d’un canton voisin ».
On arrive de ce fait à des situations véritablement dramatiques :
D2, R2 p.450
« J’ai l’honneur de vous informer que Madame Héricart sera dirigée demain sur l’hôpital de Bar-sur-Seine et que le père étant mobilisé, ses trois enfants vont se trouver sans ressources autres que la charité publique. Aucune personne ne voulant les accueillir, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me désigner l’endroit où ils devront être hospitalisés ».
Cependant, la situation va devenir d’autant plus difficile pour les Musséens que viennent à manquer des denrées de première nécessité :
Et de surcroît :
D2, R5 p.147 :
« La société La Champagne électrique fait connaître que par suite de la mobilisation du restant de son personnel, elle se trouve dans l’obligation de suspendre l’exploitation du service d’éclairage et de distribution de force… ».
Il ne faudrait pas que la situation empire et que l’on vienne à manquer des denrées alimentaires, fournies en grande partie par la culture locale à cette époque ; or, ce même départ des hommes pour l’armée va gêner considérablement les travaux des champs. On s’en inquiète en haut-lieu, il ne faut pas que l’armée manque du nécessaire :
D2, R2 p.407 :
Le maire à Monsieur le préfet de l’Aube :
« J’ai l’honneur de vous informer que vos instructions du 22 mars concernant les travaux d’ensemencement sont en bonne voie d’exécution. Ma commune ne possède qu’une faible surface de culture de sorte que les difficultés sont en partie aplanies. Un petit nombre de cultivateurs sont en retard mais les moyens d’exécution ne manquent pas ».
p.469 :
« J’ai l’honneur de vous adresser le rapport demandé sur l’état d’avancement des travaux de la fenaison :
Prairies artificielles : 46 H. ; fauchées : 23H.
Prairies naturelles : 25H. ; fauchées : 0H. »
Ce même tableau sera de nouveau demandé en juin, ce qui montre le degré d’inquiétude des autorités, aussi, la difficile décision d’accorder des permissions, fait rarissime en ce début de guerre.
D2, R2 p.362 :
Le maire au préfet de l’Aube :
« ...Les 200 quintaux de blé que je dois diriger... ne pourront être réunis... Des propriétaires viennent de m’informer que les blés sont encore en meule et qu’il ne peut être procédé au battage…
»
Cette prise de conscience des pouvoirs publics est également due, au moins en partie, au fait qu’ils imposent aux communes de nouvelles charges sous la forme de réquisitions de toutes sortes (foin, blé, bétail), opérées au bénéfice des armées.
Ainsi, le 14 Janvier, ce sont 6 têtes de bétail (p.337), le 22 juin, 32 moutons (p.482), au point qu’à Mussy, on ne peut satisfaire à la totalité des demandes :
D2, R2 p.470 :
Le maire au préfet de l’Aube :
« ...Les 200 quintaux de blé que je dois diriger... ne pourront être réunis... Des propriétaires viennent de m’informer que les blés sont encore en meule et qu’il ne peut être procédé au battage… ».
ID p.322 :
« J’ai l’honneur de vous informer que les ressources en foin sont des plus minimes... et il n’y aurait pour l’instant que 30 à 40 quintaux ».
La difficulté est moindre quand il s’agit d’autres biens : linge, literie (p.350), toile (p.464) , vêtements (p.334). Toutefois, pour faire face à toutes ces réquisitions, le maire va se trouver contraint de constituer des stocks en attendant des jours meilleurs :
D2, R2 p.356 :
Le maire à Monsieur Gautherin, moulin de Bar sur Seine :
« Au début de la mobilisation, j’avais acheté, pour garantir l’approvisionnement de la ville, 60 quintaux de blé. Je ne crois pas que cette réserve soit utile maintenant et je vous la propose... ».
A cause de cette relative pénurie et malgré les efforts consentis par la municipalité dans son ensemble, la population va souffrir d’autant plus qu’elle manque de ses éléments les plus actifs, et que par contre, elle s’est augmentée de réfugiés venus des zones occupées ou proches du front, totalement démunis de ressources. C’est le cas d’une dame de Longuyon, madame Aubry (p. 478), d’une autre de même origine, madame François, chargée de famille (p.487).
Il en résulte, comme on l’a vu, des situations si difficiles que le maire n’a plus d’autre ressource que de s’adresser à l’Assistance Publique :
D2 R2, p.448 :
Le maire à monsieur l’Inspecteur des enfants assistés :
« J’ai l’honneur de vous informer que je viens d’inscrire sur la liste d’assistance médicale gratuite madame Taffin Rosalie, qui est sur le point d’être hospitalisée.
Cette personne, mère de 5 enfants, en a 3 avec elle et ces pauvres petits vont se trouver absolument seuls. Pouvez-vous me dire où je dois faire conduire ces enfants ? »
ID p.456 :
« J’ai l’honneur de vous informer qu’un télégramme m’annonce la mort de madame Henriot. Dans ces conditions, je me vois dans la nécessité de vous faire conduire ses 3 enfants ».
Devant ces cas douloureux, et les privations qui frappent d’autre part l’ensemble des ménages, il est permis de se demander comment réagit l’ensemble des musséens.
2. les réactions de la population :
Pour la plupart, les habitants, non seulement supportent avec abnégation, mais ils font preuve d’un certain patriotisme, qui va prendre diverses formes.
la générosité :
D2, R2, p.227 :
Le maire à madame Glaive :
« Je vous autorise à faire les annonces concernant le service médical par vos propres moyens... »
ID, p.227 :
Le maire au préfet de l’Aube :
« Je crois devoir porter à votre attention l’acte de générosité d’un chauffeur du dépôt de Conflans ; cet agent, voulant soulager dans la mesure de ces moyens nos soldats blessés, vient de me remettre la somme de 20 francs pour les dames de la Croix Rouge. »
ID, p.305 :
« Les 25 barres de fer que vous avez employées à Mussy proviennent de l’usine de monsieur Cailletet... qui ne réclame aucune rétribution... trop heureux, m’a-t-il dit, de prendre sa part dans l’organisation de la Défense Nationale » .
Une participation active aux diverses « journées » organisées au niveau de l’Etat, aux quêtes et « dons » plus ou moins sollicités :
- la « journée du 75 » (p.350, 361, 363).
la « journée française » (p.449, 467).
la « journée de l’orphelinat » (p.449, 467). « J’ai l’honneur de vous confirmer mon télégramme de ce matin vous faisant connaître le montant de la recette de la journée dite « de l’orphelinat des Armées » ;ci-inclus un mandat de 132,65F représentant le montant des sommes recueillies »
un refus net des tentatives des prises de position pacifiste :
D2, R2, p.389 :
Le maire à monsieur le sous-préfet :
« J’ai l’honneur de vous informer qu’il n’existe dans ma commune aucune affiche « pour la paix » , ni carte postale ni imprimés quelconques...
»
Au contraire, percent ici et là des accents fortement anti-germanistes :
D2, R2, p.476 :
« Madame Aubry, de Longuyon, victime de la brutalité des Allemands »
Et malheureusement, cette attitude dégénère parfois en méfiance systématique de l’étranger, l’exemple venant de haut :
D2, R2, p.389 :
« J’ai l’honneur de vous signaler qu’il n’existe dans ma commune aucun sujet naturalisé originaire de nations belligérantes
».
L’état demande par ailleurs des listes d’étrangers (p.342), exige des sauf-conduits (p.398), des permis de séjour (p.437).
Pas étonnant que l’on en arrive dans ces conditions aux dénonciations, anonymes évidemment :
D2, R2, p.272 :
Le maire à monsieur le procureur de la République :
« J’ai l’honneur de vous donner copie d’une lettre anonyme que me transmet monsieur le sous-préfet et de vous déposer plainte contre inconnu... Il est écœurant, quand on fait son devoir comme je le fais, quand on a deux fils sous les drapeaux, d’avoir ce genre de lettre ».
On peut se demander quelle vilenie notre maire a pu commettre pour se voir ainsi dénoncé au sous-préfet : intelligence avec l’ennemi, malhonnêteté ? Les registres de correspondance de nos archives nous apportent la réponse et nous expliquent ce degré d’indignation du maire. Nous en reproduisons ci-dessous les deux pages incriminées (D2 R5, p.509-510).