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Histoires d’artisans et de commerçants du vieux Mussy :


Histoires d’artisans et de commerçants du vieux Mussy

Promenade contée du 26 juin 2004

Ce livret regroupe les histoires d’artisans et de commerçants du vieux Mussy et les contes choisis par les enfants pour la promenade contée du 26 juin 2004.


Collectage et formation d’enfants-conteurs dirigés par la conteuse Martine Caillat


Le départ de la promenade s’est effectué sur la place du 8 mai et l’arrivée devant la Halle, place Boursault.
A chacun des arrêts numérotés de 1 à 7 sur le plan, un ou plusieurs aînés sont intervenus suivis par deux enfants.
Les textes dits par le groupe d’adultes ont été collectés et écrits par Martine Caillat. Elle a également formé les enfants-conteurs et mis en scène le spectacle. Nous lui renouvelons ici toute notre gratitude.


Texte lu par Pierrot Stapf

Le Père Lavez

Le père Lavez était un petit homme : 1m59. Il se prénommait Henri « Henri des salons dit le bébé des dames !, s’exclamait-il, rend service à toute heure et à des prix très modérés ! »
Il avait l’accent du titi parisien. Il est vrai qu’il était né dans la région parisienne, dans une famille de gens de voyage qui vivait dans une roulotte tirée par des chevaux. Il avait vécu peu de temps dans la région parisienne mais il en avait gardé l’accent : il argotait. Il s’était installé à Mussy après avoir épousé une jolie Musséenne.
Le Père Lavez avait un penchant pour la boisson mais c’était un fameux bricoleur ! Il savait tout faire et dépannait un grand nombre de gens.
Réformé à cause de sa taille pendant la guerre de 14/18, il avait été mobilisé à l’arrière du front. Il envoyait de l’argent à sa femme car il vendait aux « piou-pious » des bagues qu’il ciselait dans les douilles des balles qu’il récupérait.
Dans les années 30, il avait une voiture en cul de cane. Un jour, revenant de Châtillon, son gendre qui conduisait, l’avait perdu dans un virage. Petit et léger, le père Lavez s’était envolé !
Ayant fait demi-tour, son gendre l’avait retrouvé endormi dans un fossé !
Il avait fabriqué un manège en bois, sculpté au couteau et l’avait peint lui-même. Pour le mettre en mouvement, il actionnait une manivelle.
La Roue de la Fortune qu’on sort au 14 juillet sur la promenade existe toujours. Il l’avait fabriquée avec pointes, plumes et plaquettes. Il avait l’esprit créatif, le père Lavez !
Il avait inventé un nouveau jeu qui consistait à renverser deux quilles métalliques posées sur une table pliante en lançant un jeton qui devait traverser l’espace qui les séparait.
Le gagnant recevait une bouteille de vin ou un paquet de gauloises. Il s’écriait : « Qui n’a pas gagné peut encore perdre ! »
Ou bien : « Celui qui a gagné reçoit un paquet de cigarettes. Je suis la ruine du bureau de tabac ! »
Il participait à la fête de Gomméville et à celle de Plaines qui durait trois jours. Quand il rentrait au bout de trois jours, le Lasserie lui demandait : « alors, ça a bien marché la fête à Plaines ? Y’avait du monde ?
Il répondait : « tout plein, tout Mussy : 40 000 personnes ! ! ! »
Le père Lavez exerçait toutes sortes de métiers.
Il cassait les cailloux pour les cantonniers avec un marteau à grand manche qu’il avait fabriqué : ça lui évitait de se relever.
Il réparait la porcelaine et le cristal avec une telle adresse que la cassure était pratiquement invisible. Il se cachait dans sa chambre pour préparer sa colle. Personne ne connaît le secret de sa composition qu’il tenait de son grand-père qui l’avait lui-même reçu de son père. Il devait le transmettre avant de mourir mais il est parti, une nuit, sans prévenir, en emportant son secret et sa gouaille.
Il vidangeait les latrines. Personne ne voulait faire ce travail répugnant. Le père Lavez y trouvait son compte et, en plus, ça engraissait le jardin. En juin-juillet, il travaillait tôt le matin et transportait avec sa brouette les fûts de vidange. Les gens criaient « ça pue ! » et lui répondait, avec son accent : « z’avez qu’à manger des savonnettes ! »
Quand il rentrait chez lui, il se tenait debout dans la cuisine et sa femme lui disait : « Tu vas peut-être te laver ! Tu empestes ! ».
Il attendait. Elle disait : « alors tu me donnes ?
- Quoi donc ?
- Les sous, bien sûr ! »
Il s’exclamait : « Tiens, l’argent empeste pas, lui ! »

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Texte écrit et lu par Lucienne Stapf

Ici, à votre droite, il y avait un marchand de vins et spiritueux, là un tonnelier et, à votre gauche, un petit lavoir couvert. Les battoirs allaient bon train, les langues aussi.
Devenu vieux, le tonnelier était cassé en deux. Il disait avec humour :
Pierrot : j’en ai pourtant rincé, des tonneaux dans ma vie, mais j’ai jamais gardé les rinçures ! (reins sûrs).

L’Ugène et le Beubeu

Retour de vendanges. Années 40.A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, il y avait à Mussy beaucoup de vignerons qui exploitaient, pour leur propre compte, quelques faîtes de vigne (une faîte équivaut à 5 ares 27).
L’Ugène avait deux vignes : l’une au Val des Choux, l’autre au Val Brouk. En patois musséen, on disait « Vau des Choux » et « Vau Brouk ».
L’Ugène était un petit homme trapu, bon vivant, farceur : il aimait faire des niches et ne s’en privait pas !
Un matin, il était en Vau Brouk avec ses copains qui cultivaient les parcelles voisines. Il y avait le Têtote, l’Alzire, le Laboudiat. Ils discutaient, plaisantaient… On allait son petit bonhomme de chemin sans se bousculer. Tout en discutant, ils cassaient « la croûte », comme d’habitude. L’un avait une épaisse tartine de saindoux qu’il mangeait avec des queues de cives cueillies sur place, l’autre mangeait avec son pain un oignon cru ou des échalotes (c’est très bon, je vous assure, j’y ai goûté, mais bonjour l’haleine !). Un autre mangeait avec son pain un « chon » de lard (un chon, c’était une tranche de lard). Ils mangeaient « sur le pouce » comme on dit. Pour faire « glisser » le casse-croûte, ils vidaient un cruchon de petit vin de pays, car il y avait toujours un tonnelet de vin dans la cadole ! Et puis, pour se donner du cœur à l’ouvrage, ils terminaient par une « ch’tite » goutte.
Ils en étaient là, quand l’Ugène aperçoit le Beubeu qui vient dans leur direction. Aussitôt, un éclair jaillit dans sa boîte à malices !
- « V’la l’Beubeu, qu’il dit à ses copains. On va lui faire une bonne blague, on va lui faire croire qu’il est malade ! »
Ils complotent leur coup tandis que le Beubeu s’avance. Le Beubeu était beaucoup plus jeune qu’eux, c’était un très brave homme mais un peu crédule !
S’approchant, il dit gaîment aux quatre compères : « Salut, la compagnie ! Comment qu’ça va-t’y, à c’t’heure ?
- ça va, répond l’Ugène, mais toi, t’es tout chose. T’es sûr que ça va ?
- Ben sûr, dit Beubeu. Pourquoi ?
- T’as pas bonne mine, dit le Têtote. T’es tout pâle ».
L’Alzire ajoute : « T’as de la fièvre, Beubeu. Vrai, tu es livide. »
Le Laboudiat en remet : « Tu vas pas tourner de l’œil, mon Beubeu ? »
Quatre paires d’yeux observent le Beubeu qui se trouble :
- Vous me racontez des « narrées ».
- Beubeu, dit le Têtote, on voit bien que t’es pas dans ton assiette. Tu « tortèles » comme si t’avais le vertige !
- J’sons pas malade, se défend mollement le Beubeu.
Alors, l’Ugène lui décoche le trait qui tue :
- Mon pauvre Beubeu, j’voudrais pas te faire peur, mais on t’a vu grimper la côte. Tu chamboulais, on craignait que tu aies un malaise ! Si tu veux, on va te ramener chez toi. J’comprends pas que l’Adèle t’ait laissé venir travailler dans l’état que tu es ! »
Le Beubeu est vaincu :
- T’as p’t’être ben raison, mon gars ! C’est vrai que je m’sens tout « virolot » ! Ah ! La garce ! (je dois préciser que l’épithète fut plus musclée) ah ! La garce ! Al’ m’a laissé venir travailler alors que j’sons ben malade ! J’vas lui parler du pays, moi !
Il ajuste les bretelles de sa hotte et dévale la côte tandis que les quatre compères se tordent de rire.
Je vous assure qu’il y a eu une forte tempête, ce matin-là, dans la chaumière du Beubeu. Mais l’Adèle n’a pas hésité à grimper la côte de Vau Brouk pour chanter sa romance aux quatre lascars qui s’esclaffaient encore en grattant la terre de leur vigne.
Croyez-moi : le Beubeu, persuadé qu’il était malade, resta couché pendant trois jours ! Il ne se levait que pour tremper des mouillettes dans une petite bolée de goutte pour se « requinquer », comme il disait !

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Raconté par Ludivine Bodein

La Naissance du vin

C’est peut-être vrai et peut-être pas, mais on raconte qu’il fût un temps où le vin n’existait pas sur la terre. Les dieux le connaissaient et gardaient le secret pour eux. Le raisin sauvage poussait dans la forêt et seuls les oiseaux en picoraient les grains.
Et l’on raconte qu’un homme s’est attardé dans la forêt. Il a eu faim, il a eu soif. Faute d’agneau, dit le proverbe, on met le vieux bouc à la broche. Faute de mieux, l’homme a cueilli une grappe de raisin et l’a mangée. Le goût lui a tellement plu qu’il déterra le pied de vigne pour le replanter près de sa maison.
Bien soigné, le cep donna un raisin plus beau et plus sucré. L’homme alla dans la forêt en chercher d’autres. Bientôt il y avait dix pieds de vigne autour de sa maison ; l’année d’après, il y en avait cent…
En automne, quand le raisin fût mûr, l’homme cueillit toutes les grappes. Il en mangea ce qu’il mangea et il laissa le reste. Mais pour ne pas le perdre, il pressa le jus des grappes qu’il mit dans des jarres de grès.
Au bout de quelques mois, il ouvrit une jarre pour voir si le jus de raisin était encore bon. Et il fut bien surpris : la boisson était meilleure qu’avant, tellement meilleure que l’homme s’est dit : « Ce serait mal à moi de boire seul ce merveilleux breuvage ! Il me faut partager cela avec des amis. » Et il convia ses amis à goûter le vin nouveau –vraiment nouveau, puisque c’était le premier vin que l’on buvait sur la terre.
C’est de ce temps-là que date la coutume de ne jamais boire du vin tout seul, mais de convier les amis pour partager le plaisir.
En ce temps-là, c’est le merle qui arriva le premier. Il but une coupe de vin et il dit :
- Cette première coupe est ma coupe ! Ma gaîté la remplit. Qui la boira, deviendra gai comme moi, il chantera comme moi.
Le coq est arrivé ensuite. Il but la seconde coupe et dit :
- Cette deuxième coupe est ma coupe ! Mon arrogance et ma fierté la remplissent. Qui la boira deviendra crâneur et agressif comme moi.
Alors vint le porc. Il but et il dit :
- Cette troisième coupe est ma coupe. Mon goût de la fange l’a remplie. Qui la boira ne tiendra plus sur ses jambes et roulera dans la boue comme moi.
Le renard est arrivé le dernier. Il vida sa coupe et il dit :
- La quatrième coupe est ma coupe ! Toute ma ruse, toute ma perfidie la remplissent. Et celui qui la boira oubliera qui il est, et où il est, et ce qu’il fait. Et ce qu’il fera alors, nul ne peut le prévoir. Mais longtemps, longtemps après, il rougira de honte et de remords !
Depuis ce temps, l’usage veut qu’en levant leur verre les hommes portent des toasts, qu’ils disent de bonnes paroles et des souhaits de bienvenue . Et c’est depuis ce temps que le vin agit sur les hommes ainsi que l’ont dit et souhaité les premiers porteurs de toasts.
La première coupe de vin, la coupe du merle, rend l’homme gai et insouciant, elle le fait rire et chanter.
La seconde coupe, la coupe du coq, rend l’homme agressif et querelleur.
La troisième coupe, la coupe du porc, fait perdre à qui la boit sa dignité humaine. L’homme vacille, roule à terre et s’endort dans la boue.
Et que le ciel nous préserve de la quatrième coupe, de la coupe du renard ! Car celui qui la boit ne sait plus qui il est, et où il est, et ce qu’il fait. Et ce qu’il fait alors le remplit de honte et de remords pour le restant de ses jours.

365 contes de gourmandises
Luda
Ed. Gallimard Jeunesse

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Texte lu par Camille Kahn

« Ici, il y avait le café de la gare chez Meunier, un dépôt de bonneterie chez Mlle Joucand et un boulanger chez Plumet ».

Le boulanger

Chez le boulanger, on ne payait pas tous les jours. Chaque client avait une planchette que le boulanger entaillait d’une marque à chaque pain acheté. La planchette a été ensuite remplacée par le petit carnet en moleskine. Le pain était acheté au poids.
Il y a eu un boulanger qui préparait un petit pain spécial offert à chaque enfant de ses clients, lorsqu’on venait payer la note en fin de mois.
Le pain était cuit au feu de bois, à la charbonnette.
Une grand-mère se faisait peser son morceau de pain et le bout qui restait était pour sa petite-fille. C’était l’appoint fait en coupant le pain en sifflet.
La grand-mère disait : « Si ma petite fille est sage, elle aura le récompensson ! »
On raconte qu’un boulanger vendait des dindes. Il les préparait et les cuisait dans son four après la cuisson du pain. Un jour, il a oublié de vider la dinde. L’odeur ! »
Les boulangers faisaient le pain béni chacun leur tour. Lorsque arrivait le tour de celui qui était anticlérical, il se vantait de cracher dedans.
Pendant la guerre de 39-45, le mari de la boulangère est mobilisé. Il exerce son métier de boulanger à l’armée.
On lui demande des nouvelles de son mari :
- Alors, qu’en pense votre mari ?
- Oh, il dit que ça ne va pas durer !
Un jour, on lui dit :
- Alors, votre mari est toujours optimiste ?
- Mais non, s’écrie-t-elle, il est devant son four, il fait le pain ! à Troyes !
On achetait :
 les galettes aux grêlons : une galette en pâte feuilletée de lards frits, bien frits.
Cette recette a été reprise par les bouchers.
 la tarte en boullié (du flan)
 les gougères : c’est notre passé bourguignon ; car autrefois nous étions bourguignons.
Lorsque la boulangère a épousé son mitron, elle a avoué en évoquant sa nuit de noces :
« Qu’est-ce qu’on était heureux ! Le soir, on s’est assis sur le lit et on a pleuré ! »
Ce mitron-là a eu plus de chance que celui qui a été tué devant son fournil en 1940 lors du bombardement italien !

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Mme Kahn et Martine Caillat

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Raconté par Mike Augusto

Les mains

Le matelot était bien malheureux : la fille qu’il aimait était courtisée par plusieurs garçons, et il désespérait. A chaque fois qu’il venait lui rendre visite, il découvrait dans la place soit le coiffeur, soit le boulanger.
La jeune fille ne trouvait pas désagréable de se laisser courtiser ainsi, car cela lui prouvait qu’elle était jolie, et une fille aime toujours à se l’entendre dire. La mère, au contraire, commençait à être agacée par ce manège.
Un jour, elle dit à sa fille :
- Il est temps de choisir, tu ne peux traîner ainsi tous ces galants derrière toi.
- Je n’arrive pas à faire un choix, ils me plaisent tous trois, répondit la fille, désolée.
- Puisque c’est ainsi, reprit la mère, je vais décider moi-même qui tu épouseras.
Un soir que les trois galants se trouvaient ensemble autour du feu, la mère leur dit :
- Puisqu’elle ne sait choisir, je donnerai ma fille à celui qui montrera les mains les plus blanches.
Aussitôt, les trois jeunes gens cachèrent leurs mains, demandant un délai pour se présenter.
C’est bien, pensait le coiffeur, tout le jour, je coupe les cheveux et taille les barbes, je plongerai plus souvent que d’ordinaire les mains dans l’eau, je mettrai dans mon eau plus de savon, et au soir, j’aurai les mains les plus blanches.
C’est parfait, se disait le boulanger, je vais pétrir toute la journée, mes mains seront très propres. Et puis, je les frotterai de farine et au soir, j’aurai les mains les plus blanches.
Seul le matelot était abattu en sortant de la maison. Il savait qu’il pourrait se laver et se relaver, laisser tremper ses mains toute la journée dans l’eau, jamais il n’arriverait à les rendre blanches. Ses mains étaient tannées, creusées par le travail. Le goudron de calfatage y avait laissé des traces indélébiles… Il voyait bien que la fille ne serait pas pour lui.
Il rentra au bateau le cœur gros, avec l’envie de pleurer.
- Allons, lui dit son patron, que t’arrive-t-il ?
Le matelot lui conta l’histoire, et lui dit son désespoir.
- Allons, consola le patron, ne t’en fais pas pour ça ! Par ma foi, si tu aimes cette fille, tu l’auras !
- Je voudrais bien le croire !
- Ecoute par là, matelot…
Le lendemain soir, les trois galants, le cœur battant, se présentèrent à la maison de la fille.
La mère les fit entrer, puis elle les appela un à un :
- Coiffeur, montre-moi tes mains !
Le coiffeur approcha.
- Oui, dit la mère, elles sont assez blanches, mais je vois un morceau de cheveu sous l’ongle.
Le coiffeur ôta vite le cheveu, mais il était trop tard.
- A toi, boulanger !
Le boulanger tendit des mains d’une blancheur immaculée.
- C’est bien, dit la mère, ces mains-là sont très blanches, mais je vois un petit morceau de pâte qui est resté collé à la base de l’ongle. Avant de me décider, il faut que je voie le troisième.
Le matelot s’approcha et tendit ses mains. Et dans ses mains, il y avait les cinq pièces d’or que son patron lui avait laissées en cadeau.
- Ah ! s’exclama la mère, celui-ci a gagné, car jamais je n’ai vu de mains plus blanches.
Et c’est ainsi que le matelot épousa celle qu’il aimait.

Contes traditionnels de Bretagne
Evelyne Brisou-Pellen
Ed. Milan

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Raconté par Marjorie Pétot

Le pain des invités

Au croisement de quatre routes, à la rencontre de quatre vents, il y avait une ferme. Pas très grande, mais pas petite non plus ; on ne peut pas dire riche, mais quand même de bonne apparence. Juste ce qu’il faut pour se sentir bien à l’aise. Une maison accueillante, chaleureuse, qui donnait envie d’y entrer. Et la plupart des voyageurs qui passaient ne manquaient pas d’y entrer, rien que pour voir si la maison était aussi bonne en dedans que vue du dehors, si l’apparence ne mentait pas.
Elle ne mentait pas. La fermière, aussi gaie et plaisante que sa maison, accueillait les gens de passage comme de vieux amis. La collation n’était pas riche : du pain sorti du four, du lait tout frais. Avec un sourire, cela vaut le meilleur des repas.
La belle-sœur de la fermière, venue lui rendre visite, n’en croyait pas ses yeux :
- Mais comment vivez-vous, ma bonne ? Toujours la porte ouverte et des gens plein la maison ! Vous allez vous ruiner. Pensez à vos enfants…
- Oh, la dépense n’est pas grande –un bout de pain, un peu de lait… Ce n’est pas ce qui va me ruiner !
- Ne dites pas ça. Un sou est un sou et c’est avec des tranches qu’on fait des miches…
La belle sœur en a tant dit que la fermière s’est sentie troublée. Peut-être qu’elle jetait vraiment par la fenêtre le pain de ses enfants… Et dans le doute, la brave femme est allée demander conseil à un vieux du village voisin. Ce n’était pas un sorcier, mais quelque chose y ressemblait. Il donnait des herbes pour guérir des maladies, faisait des charmes pour chasser les ennuis… On venait chez lui de loin.
La fermière lui a expliqué que trop de gens venaient chez elle, que c’était ennuyeux à la longue. Alors, s’il connaissait un moyen de s’en débarrasser ?…
- Fermer sa porte, c’est facile, a dit le vieux. Voilà ce que vous allez faire : à la lune décroissante, sortez sur la route et, par-dessus la clôture, jetez dans la cour vos clefs en disant trois fois : « partez, les invités et le pain des invités ! » Après, rentrez chez vous en bouclant la porte. Plus personne ne viendra vous déranger.
La fermière a fait comme disait le vieux et dès ce jour, plus personne n’est venu à la ferme. A croire qu’elle était devenue invisible ! Non seulement les inconnus ne s’y arrêtaient plus, même les amis l’évitaient, même le facteur ne frappait plus à la porte, même les chiens n’entraient plus dans la cour.
Au début, la fermière était très contente –c’est vrai que des visites continuelles, ça dérange pas mal. Et c’est de la dépense aussi, bien sûr… Mais, chose curieuse, au lieu d’augmenter, le pain semblait diminuer dans la maison, on en venait même à en manquer. Les vaches ne donnaient plus de lait, les champs ne donnaient plus de blé et les légumes du potager ne poussaient plus. Au bout de l’année, la fermière en était presque réduite à la misère. Et toute seule, elle était sans un ami, sans une parole de consolation.
Alors, désespérée, elle a couru chez le vieux pas-tout-à-fait sorcier, elle lui a raconté ses malheurs. Le vieux a hoché la tête :
- Chasser les gens, c’est facile. Les faire revenir, c’est plus compliqué et je ne peux rien promettre. Essayez quand même : à la lune croissante, jetez vos clefs par-dessus la clôture sur la route en disant trois fois : « revenez, les invités et le pain des invités ! » Faites-le sept soirs de suite et si vous le dites du fond du cœur, peut-être que tout redeviendra comme avant.
Avec impatience, la fermière a attendu la nouvelle lune. A la vue du premier mince croissant, elle est sortie dans la cour et a jeté ses clefs par-dessus la clôture en disant du fond de son cœur : « Revenez, oh, revenez les invités ! Reviens, le pain des invités ! » Elle avait le cœur gonflé d’espoir.
Et le sortilège a agi. Les gens ont recommencé à s’arrêter dans la maison, à demander qui à boire, qui à se reposer. Et peu à peu, tout est redevenu comme par le passé. Les vaches donnaient du lait, le blé poussait dans les champs et il y avait toujours, pour tout un chacun et pour n’importe qui, du pain et du lait frais à la ferme des quatre vents.

365 contes de gourmandises
Luda
Ed. Gallimard Jeunesse

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Texte lu par Monique Servonnat-Lagoutte

« Ici il y avait un étameur, un café celui du Père Bazzana, une ferme ».

La ferme Albrier

Emile avait une ferme, avec sa grange dans la chapelle de l’hôpital car tout était à lui ! Il phrasait beaucoup mais c’était surtout un plaideur. Il ne manquait pas une séance du juge de paix tous les jeudis. Il connaissait la loi mieux que le juge.

Le père Saliège

Le père Saliège était étameur-ferblantier. C’était un auvergnat avec de grandes moustaches. Quand on entrait dans son échoppe, on entrait dans la caverne d’Ali-Baba ! Il réparait absolument tout : arrosoirs, casseroles, égouttoirs, bidons, lessiveuses, timbales à lait… Il aiguisait aussi les couteaux et les ciseaux.
Sa femme réparait les parapluies. Il avait une voiture avec de la toile sur les côtés et assurait une tournée pour rapporter par la campagne tout ce qu’il avait réparé. Tout le monde allait chez lui car tout le monde avait à un moment ou à un autre quelque chose à réparer. Il expliquait beaucoup aux enfants ce qu’il faisait, ne les chassant jamais. Il remplaçait largement la télévision !

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Raconté par Sarah Ricard

Le paysan et l’oie

Dans les temps pas tellement anciens, dans un pays pas tellement lointain vivait un paysan, pauvre de bien, riche d’enfants. Comme terre, il n’avait qu’un champ d’un demi-arpent, comme bétail, une seule oie, et pas encore bien grasse.
Pourtant, cette oie, il a bien fallu la tuer le jour où il n’y avait plus de pain à la maison et que les enfants pleuraient de faim. La femme du paysan dit :
- Il ne reste plus de sel. Va en emprunter au voisin.
- Non, j’irai pas, a dit son mari. Tu empruntes un fil et il te faut rendre une pièce de toile ! Plutôt que de manger notre oie sans sel, je m’en vais la porter à monsieur, notre maître. Il me fera bien un cadeau en retour.
Et il a porté l’oie rôtie à son patron-propriétaire.
- Voici un petit présent, Votre Honneur notre maître ! Juste pour vous dire notre attachement et vous remercier de vos bontés.
- Merci, mon ami ! Mais comment vas-tu partager cette oie entre nous tous, sans vexer personne ?
Et ils étaient six à table : le monsieur, sa dame, leurs deux fils et leurs deux filles. Le paysan n’a guère réfléchi. Il a pris un couteau, il a coupé la tête de l’oie et l’a mise dans l’assiette du monsieur :
- De la famille tu es le roi, la tête te revient de droit !
Il a coupé le sot-l’y-laisse, l’a donné à la dame :
- Toi, tu gardes la maison. Voici pour toi le croupion !
Il a coupé les pattes, les a données aux fils :
- Pour votre chemin, garçons, voici pour vous les pilons !
Il a donné les ailerons aux filles :
- Pour bien vous marier, pour quitter le toit paternel, voici des ailes pour les demoiselles !
Puis il a pris l’oie entière en disant :
- Moi, pauvre cul-terreux, avec vos reste, je suis heureux.
Là –dessus, le monsieur a ri de bon cœur et toute la famille avec lui. On a offert un verre de vin au paysan, on lui a donné de l’argent, du lard, de la farine, tellement il les avait amusés.
Le voisin de ce paysan était riche. Plus la panse est grosse, plus l’œil est avide. Et en voyant les cadeaux que le pauvre ramenait, le riche s’est dit :
« Si pour une oie minable, notre maître l’a si bien récompensé, qu’est-ce qu’il me donnera quand je lui amènerai mes cinq belles oies ? Il va me couvrir d’or, pour sûr ! »
Il a fait rôtir les cinq oies qu’il avait et les a portées chez la maître : « voilà en témoignage de profond respect…. »
- Merci, merci, mon ami § a dit le monsieur. Et maintenant, partage donc ces oies entre nous sans faire de tort à personne.
L’autre a essayé. Et comme ci, et comma ça, et encore autrement… Rien à faire. Partager équitablement cinq oies entre six personnes, ce n’est pas possible ! Le monsieur a dit :
- Faites donc venir celui de l’autre jour. Je parie qu’il saura le faire.
On a couru chercher la paysan. Il n’a pas hésité. Il a pris une oie, l’a posée devant le monsieur et sa dame :
- Vous deux et l’oie, ça fait trois !
Il a donné une autre oie aux fils :
- Vous deux et l’oie, ça fait trois !
La troisième oie, il l’a donnée aux filles :
- Vous deux et l’oie, en voilà encore trois !
Puis il a pris les deux oies qui restaient en disant :
- Les deux oies et puis moi, ça fait toujours trois !
Tout le monde a encore ri de bon cœur. Le monsieur a dit :
- Pour du bon partage, c’est un fameux partage ! Tu n’as fait tort à personne, tu ne t’es pas oublié non plus, et tu nous as bien diverti !
Il lui a encore donné de l’argent. Et l’autre, le riche, il est parti sans rien du tout !

365 contes de gourmandises
Luda
Ed. Gallimard Jeunesse

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Raconté par Sabrina Gaule

Jean de la vache

Jean de la vache était un escogriffe maigre un peu perclus de la coiffe qui vivait avec sa braillarde de mère dans un vieux mas bancal et de partout fendu. Cet hiver-là, il avait givré à pâlir le nez d’un nègre et le printemps annoncé semblait corps et bien perdu dans la brume. Du coup, l’avril venait et les dents claquaient encore sur des dîners de vent. Un matin, la vieille réveilla donc son fils d’une bonne gifle, pour le réchauffer, et lui dit :
- Jean, nous n’avons plus rien à manger. Il nous faut vendre la vache. Elle est un peu maigre mais c’est une bonne bête, elle vaut bien cent écus. Va par le grand chemin, et fourgue-la au premier riche que tu rencontreras.
- Pétard de nom de mille, sur l’heure je m’en vais, répondit Jean.
Il chaussa ses sabots, enfonça son béret sur son crâne et s’en fut, l’enjambée longue et le genou cagneux, en tirant par la bride l’unique animal de son troupeau.
A une heure de marche était un monastère au beau portail, aux tours larges d’épaules, aux fenêtres luisantes. Comme Jean longeait sa muraille, il rencontra l’abbé du lieu qui faisait sa promenade du matin en lisant son bréviaire, le nez pointu sous son capuchon fourré. Il se saluèrent, puis :
- Père abbé, dit Jean, j’ai cette vache à vendre. Pour cent écus elle est à vous.
L’autre leva le menton, bomba sa bedaine, considéra la bête par-dessus ses lunettes et répondit :
- C’est ce menu bestiau que tu appelles vache ? Selon mon œil, c’est une chèvre. Pour une chèvre, j’admets que c’est une belle chèvre. Mais jamais tu ne le feras passer pour une vache.
Ce bougre d’abbé était un filou.
- Vous plaisantez sans doute, ou vous voulez m’emberlificoter, répondit Jean, l’œil incrédule et le museau fendu jusqu’aux oreilles. Combien voulez-vous parier que c’est une vache ?
- Ce que tu voudras, dit l’abbé. Prenons pour arbitres les frères du monastère. S’ils disent que c’est une chèvre, tu perds la bête et l’argent. D’accord ?
- D’accord. Sacré nom de printemps, il faut que je sache qui de nous deux est fou.
Les voilà donc entrant dans la cour du couvent. Le père abbé sonne la cloche du rassemblement, et lorgnant distraitement les nuées, un murmure sournois au coin de la bouche, affranchit l’un et l’autre de ses frères aussitôt accourus. Quand l’assemblée est au complet :
- Regardez bien cette bête, dit-il. Es-ce une vache, ou une chèvre ?
- Une chèvre, répondent les moines en chœur de belles basses.
Le plus vieux (un freluquet) se paie même le plaisir mesquin d’ajouter, dans un bêlement solitaire :
- Une belle chèvre, c’est sûr. Mais certainement pas une vache.
- As-tu entendu mon fils ? dit le prieur. Tu as perdu ton pari.
- Sacré tonnerre de milliards de coquines du diable, grogne Jean. Me voilà berluré.
Il revient chez lui le nez bas, les bras ballants, le sabot traînard, et raconte sa mésaventure à sa mère. La vieille se jette contre sa poitrine en pleurant, l’embrasse désespérément, maudit ces foutus paillards de moines, puis soudain s’illumine, pointe l’index au ciel, rugit, flanque un coup de poing dans l’œil ébahi de son fils et dit :
- J’ai une idée. Déguise-toi en bonne femme, cache sous ta robe une bûche de chêne et va demander l’hospitalité au monastère. Quand tu te trouveras seul avec l’abbé, tu sortiras ton bâton de tes frusques et à grands coups tu lui feras cracher un par un ses cents écus, qu’il en reste plat comme une crêpe.
- J’y vais, dit Jean, un œil rouge et l’autre fier.
Il s’emperruque de crin, se farde de plâtre, se juponne de vieilles hardes, et le voilà parti. Sur le chemin du monastère il rencontre l’abbé qui faisait sa ronde du soir.
- La paix sur vous, lui dit Jean, contrefaisant la vieille pie. Accorderez-vous l’hospitalité à une pauvre pèlerine sur la route de Compostelle.
- Entrez, bonne mère, lui dit le prieur.
A peine sont-ils dans la cour que sonne la cloche du dîner. Jean de la Vache partage le repas des moines, puis on le conduit dans un grenier où étaient des paillasses. Vers minuit, quand il n’entend plus que ronflements dans la bâtisse obscure, il se lève, descend à pas menus jusqu’à la chambre du père abbé, entre, réveille le bonhomme d’une beigne bien appliquée et lui dit, sortant son gourdin :
- Mes cent écus, sinon, par le pif de Saint Morbion, je te casse la caboche.
Et il se met à le rouer de coups jusqu’à ce que l’abbé, pâle comme la lune et tremblant comme un peuplier, lui désigne le tiroir de sa commode. Alors Jean rengaine son arme, prend sa poignée d’or et décampe à toutes jambes. De retour chez lui, il fait tinter sa provision sous le nez de sa mère.

Contes d’Europe
Henri Gougaud
Ed. Seuil

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Texte lu par Muguette Lannes

« Ici il y avait une charcuterie chez Gromont la fromagerie, une couturière Mlle Regnard, une ferme chez François, des laveuses au grand lavoir couvert, un coiffeur « L’Ignace », deux peintres Chauvier et Bourgin, trois bouchers, la pharmacie, le docteur, quatre épiceries :
- la Ruche moderne
- les Economiques Troyens
- les Coopérateurs de Champagne dits « la Laborieuse »
- la Coopérative de l’usine »
et une pâtisserie.

La pâtisserie nouvelle

Ah ! la pâtisserie et sa pâtissière la Marie-Louise.
Fermez les yeux et imaginez-la : tirée à 4 épingles, bien maquillée avec sur chaque pommette une pièce de 5 Fr de rose à joue, la bouche dessinée en forme de cœur avec le rouge à lèvres, et des petites frisettes.
Elle fabriquait « le pain direct »pain sans levain, plus goûteux et surtout le St Honoré, les glaces, les garguesses (beignets de carnaval).
Fermez de nouveau les yeux et imaginez le magasin : il était petit mais il paraissait grand avec tous ces miroirs qui brillaient.
Et l’odeur ? Délicieuse, parfumée !
Et les couleurs ? des bonbons colorés dans les bocaux en verre.
C’était féérique !

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Texte lu par Georgette Bouquet

Le Charcutier

Le charcutier, c’était Dédé Gromont : notre « Justin Bridoux en quelque sorte ! »
Cet homme grassouillet, bien enveloppé, pas très grand distribuait des rondelles de saucissons qu’on appelait « le cisson »
On le voyait brosser les boyaux dont il allait se servir. Il épluchait ses oignons sur le parapet et ainsi pouvait discuter avec les gens.
Il était réputé pour ses pâtés en croûte et la décoration des mottes de saindoux.
Sa devise : « Dans le cochon
Tout est bon
Chez Gromont ! »
Un jour, il a reçu une lettre enflammée d’une jeune femme qui signa sa lettre par « je t’aime, t’aime, t’aime ! » ce qui lui valut par la suite d’être appelée « le taimetaime ! ».

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Texte lu par Simone Rondel

La fromagerie

Tout a commencé avec la Marie Coco. C’est elle qui a lancé le commerce, avec sa couverture sur les épaules. Au début, elle allait chercher le lait chez les cultivateurs.
Elle le vendait au détail. Elle a été la 1re de la dynastie.
Puis, le Firon, son fils est venu l’aider.
Il allait à pied chercher le lait à Gomméville avec une voiture à bras. Et comme il restait du lait , ils ont commencé à faire des fromages.
Un jour, un Parisien a demandé à Marie Coco si elle vendrait les journaux de Paris. Et elle a vendu le Petit Parisien, le Petit Troyen.
C’était toujours ouvert.
Avant la guerre, elle a ajouté l’épicerie : Félix Pothin.
Puis les générations se sont succédées.
En 1965, il y eut un magasin de journaux seul, et la fromagerie / épicerie est restée dans la famille jusqu’en 1995.
La fromagerie était une véritable institution réputée avec ses deux employés. Elle a obtenu de nombreuses médailles pour son Chaource. Fromage labellisé . estampillé Mussy.
On raconte qu’un fils de patron d’usine se signait chaque fois qu’il entrait à la fromagerie et s’écriait :
- Ici, c’est la maison du Bon Dieu.
Les fromages étaient vendus sur les marchés , à Troyes, à Paris.
Avec la fromagerie, il y avait du petit lait aussi la famille élevait-elle des cochons. Mais les odeurs étaient telles qu’une pétition a fait déménager les cochons au four à chaux avant la guerre 39. Il y a eu jusqu’à 60 cochons.
Dans les années 65/70 il y en avait encore.

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Raconté par Jessica Laurent

La couturière

Ninon se souvient d’une histoire extraordinaire. Elle était plus grande et en âge de faire sa communion. Elle a vu arriver un beau matin Mademoiselle Yvonne. Elle était couturière à domicile. La mère de Ninon lui avait demandé de venir pour faire la robe du « lendemain de communion » de Ninon. Mademoiselle Yvonne travaillait ainsi dans les familles, à la journée. Elle avait toujours avec elle une petite boîte verte, une boîte de pastille Valda, dans laquelle elle rangeait ses épingles, son dé et son centimètre. Elle apportait également sa paire de ciseaux.
Toute la journée, mademoiselle Yvonne avait cousu la robe de Ninon. Elle avait tenu à terminer l’ouvrage dans la journée et c’est pour ça qu’elle était partie de la maison un peu tard, à la tombée de la nuit. Elle habitait à une heure de marche de là. Elle marchait d’un bon pas, Mademoiselle Yvonne, quand, tout à coup, elle a vu devant elle, sortant de la forêt, l’œil brillant, le loup !
Le loup avait grand faim car cela faisait deux jours qu’il n’avait rien mangé : pas un lapin, pas une poule, même pas un rat des champs. Il sauta sur la jeune fille, pétrifiée, la poussa dans un grand sac de toile qu’il jeta sur son dos. Le loup, ravi, prit le chemin de sa tanière où l’attendait sa mère. Mais le chemin était long et Mademoiselle Yvonne un peu lourde. Le loup s’arrêta pour se reposer. IL posa le sac de toile à côte de lui, au pied d’un arbre et là, il s’endormit. En entendant ses ronflements, Mademoiselle Yvonne comprit que le loup dormait profondément. Elle prit sa paire de ciseaux et découpa la toile du sac. Quand le trou fut assez grand, elle sortit et chercha alentour quelques grosses pierres qu’elle mit dans le sac. Puis, avec du fil et une aiguille, elle recousit la toile. Ni vu, ni connu ! Mademoiselle Yvonne du loup, heureuse d’être saine et sauve.
A son réveil, le loup a remis le sac sur son dos et est rentré chez lui. Sa mère l’attendait. Elle avait fait bouillir de l’eau dans un grand chaudron pour cuire ce que son rejeton de loup lui rapporterait. Ensemble, ils ont versé le contenu du sac dans le chaudron. Les pierres, en tombant, ont éclaboussé le loup et sa mère qui sont morts ébouillantés.
Bien fait !

Martine Caillat d’après un conte populaire.

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Raconté par Cinthya Deba

Benoît-Meunier et les fils du vent

Connaissez-vous Benoît-Meunier ? Toujours heureux et bon enfant, il vit seul avec ses bêtes, dans le moulin qu’il aime.
Chaque jour, dès qu’il s’éveille, il écoute d’abord les bruits de son moulin :
- Tic tic tic tac ! dans le vent, les ailes du moulin tournent et virent comme il faut.
- Croc crioc crac ! et ses gosses meules grignotent et broient le grain. Les bêtes sa frottent aux jambes du meunier, elles ont faim : le chat miaule, le chien aboie, la chèvre bêle, le cochon grogne… « Allons tout va bien, la journée sera bonne « , se dit Benoît-Meunier, et il se met à l’ouvrage, après avoir soigné son petit monde.
Mais voilà qu’un matin, le coq a déjà chanté et Benoît-Meunier n’est pas encore levé. Pourtant, toutes les voix du moulin l’appellent :
- Tic tic tic tac ! Croc crioc crac ! et les bêtes affamées réclament.
Rien à faire, Benoit-Meunier ne veut pas s’éveiller ! Et savez-vous pourquoi ? Cette nuit, il a fait un beau rêve, un si beau rêve qu’il voudrait ne pas encore ouvrir les yeux, pour le garder plus longtemps dans sa tête.
Les bêtes s’étonnent et disent :
- Que fait donc le bon maître ? Il dort encore ? Allons voir…
Doucement le chat s’approche, puis le chien, puis la chèvre, puis le cochon… tous se penchent sur Benoît-Meunier endormi :
- Chut ! Chut ! comme il dort bien ! Et il sourit, il doit faire un beau rêve. Ne le réveillons pas…
La nouvelle fait le tour du moulin :
- Le meunier dort, ti tic tic tac ! … Le meunier dort encore, croc crioc crac ! …
Une heure, deux heures passent, et Benoît-Meunier ne se réveille pas. Lasses d’attendre, les bêtes ont si grand’faim qu’elles décident d’aller chercher elles-même de quoi manger.
- Je cours chasser dans les fourrés ! dit le chat
- Moi aussi, dit le chien
- Bonne idée ! dit la chèvre, je vais brouter les jeunes pousses de la haie…
- Et moi, dit le cochon, je vais aller ramasser les glands sous le chêne.
Les voilà tous partis, et tandis que le moulin tictictictaque :
Toujours heureux et bon enfant
Endormi, sans soucis
Benoît-Meunier sourit
Aux images de son rêve….

Mais là-haut, dans le ciel d’été, les fils du Vent ne sont pas contents :
- Comment ? Le meunier dort et nous, nous devons continuer de souffler, de toujours travailler ? Ah ! c’est trop fort !… Attends donc un peu, meunier paresseux, nous allons te secouer et te réveiller, tu vas voir !…
Et très fâchés, les fils du Vent soufflent leur colère sur les ailes du moulin qui se laissent entraîner dans une folle ronde. Quel tintamarre ! Les grosses meules n’en peuvent plus et grondent en broyant le grain :
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop fort…
Mais le maître n’entend rien :
Toujours heureux et bon enfant
Endormi, sans soucis
Benoît-Meunier sourit
Aux images de son rêve….
Les fils du vent sont de plus en plus furieux :
- Ah ! il n’entend rien ce meunier, ce vaurien ! C’est bien, nous allons le laisser là, tout seul avec son moulin. Et tant mieux s’il devient malheureux !
Alors tous les vents, les grands vents, les plus forts, les plus méchants, les ouragans, les vents hurleurs, les vents rageurs, les vents grondeurs et aussi les vents gentils et câlins de l’été, tous les vents, tous, abandonnent le moulin et vont bouder dans les bois.
Plus un souffle au moulin. Peu à peu, les ailes perdent leur élan, tic… tic… et tac ! elles s’arrêtent. Les grosses meules n’ont plus de force, croc… crioc… et crac ! elles s’arrêtent, elles aussi.
Plus de grain moulu, plus de farine… le moulin s’est tu.
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop fort…
Mais le maître n’entend rien :
Toujours heureux et bon enfant
Endormi, sans soucis
Benoît-Meunier sourit
Aux images de son rêve….
Par bonheur, non loin du moulin, le corbeau a tout compris et il est très ennuyé pour le meunier si bon pour lui. Il se dit :
- Il faut que les bêtes reviennent au moulin, je vais les prévenir : croa croa croa !
Les fils du Vent ne soufflent plus
Et le moulin ne marche plus !
Il faut aider Benoît-Meunier, Holà, le chat, m’entends-tu ?
Le chat du meunier pointe l’oreille et répond :
- Allô ! corbeau, tu dis que le moulin ne marche plus ? Oké ! j’y vais…
Et le voilà parti. En chemin, le chat rencontre le chien du meunier :
- Où vas-tu donc, le chat, que tu cours si vite ?
- Ah ! dit le chat, le moulin s’est arrêté, il faut aider Benoît-Meunier. Saute donc sur ma queue, nous irons plus vite.
Le chien saute sur la queue du chat et les voilà partis, patatri patatra, patatri patatra… Ils rencontrent la chèvre du meunier :
- Où vas-tu donc, le chat, que tu cours si vite avec le chien sur ta queue ?
- Ah ! dit le chat, le moulin s’est arrêté, il faut aider Benoît-Meunier. Saute sur ma queue, nous irons plus vite.
La chèvre saute sur la queue du chat et les voilà partis, patatri patatra, patatri patatra… Ils rencontrent le cochon du meunier :
- Où vas-tu donc, le chat, que tu cours si vite avec le chien et la chèvre sur ta queue ?
- Ah ! dit le chat, les fils du Vent se sont fâché, ils ne veulent plus souffler et le moulin s’est arrêté. Il faut aider Benoît-Meunier. Saute sur ma queue, nous irons plus vite.
Le cochon saute sur la queue du chat et les voilà partis, patatri patatra, patatri patatra… Ils arrivent au moulin et là, tout ensemble, chat, chien, chèvre et cochon se mettent à souffler, à souffler si fort que bientôt les ailes du moulin se dégourdissent et se remettent à tourner : tic tic tic tac ! A nouveau le moulin grignote son grain, croc crioc crac ! Et le corbeau de chanter :
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Meunier, tu dors !
Ton moulin, ton moulin va trop fort…
Mais lui, le maître, il n’entend rien de rien :
Toujours heureux et bon enfant
Endormi, sans soucis
Benoît-Meunier sourit
Aux images de son rêve….
Et qui tempête au fonds du bois, furieux, sans pouvoir rien faire contre le meunier ?
Les fils du vent naturellement !

Lily Boulay

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Texte lu par Georges Lagoutte

« Ici, il y avait le café-restaurant-bal-cinéma-jeu de quilles chez Bibi Masson, la ferme chez Billon, deux fermes chez les Clémencelle, une boulangerie chez Lorne, un cordonnier et un serrurier. »

Le père Duret

Il était serrurier, réparateur soudeur
ou soudeur, serrurier, réparateur
ou réparateur, soudeur, serrurier
enfin c’était le même ! le Père Duret calme et effacé. Avec son fils, le Tonton, ils réparaient les vélos, forgeaient les grilles , fabriquaient aussi bien une clé qu’une remorque ! Le père avait transmis son savoir au fils. Le Tonton revenait de Châtillon ou de Bar à vélo avec ses barres de fer sur l’épaule : 17 ou 25 km.
Il y a eu aussi le Lavinan avec sa jambe raide depuis sa blessure à la guerre 14/18.
Il impressionnait, grand comme il était, avec son tablier de cuir car il était aussi bourrelier. Et il cardait la laine.
Tout comme le Père Dubois qui fabriquait des édredons américains matelassés, des couvre-pieds, des dessus de lits piqués et réparait sacs à main et sacs d’écoliers et même les selles de chevaux.
Et puis, pittoresque était le père Boulette.
Son métier ? Pas vraiment de métier. Rentier peut-être. Il était là, quoi ! Un peu serrurier paraît-il ! Il croyait à la réincarnation et disait :
« J’me souviens avoir été orateur puis putain ce que j’ai dû faire comme bêtises ou dire en tant qu’orateur pour rétrograder à putain ! »

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Raconté par Mélanie Rabah

Le berger qui criait au loup

Il y a bien longtemps, dans les montagnes chevelues de Grèce, vivait un berger.
Hélas, il s’ennuyait à mourir toute la journée, avec pour seule compagnie son troupeau de brebis et son chien. Il aurait voulu parler, raconter des blagues, voir des amis. Il aimait rire, Jorgi, il aimait la compagnie ! Un jour qu’il contemplait d’un œil morne les dos blancs des moutons occupés à brouter bêtement, il lui vint une idée. Il grimpa un peu plus haut dans la colline, à l’endroit d’où l’on voyait les toits du village et se mit à hurler à pleins poumons.
- Au loup ! Au loup ! Au loup !
Le forgeron du village se tenait à cet instant sur le pas de sa porte en compagnie d’un fermier.
- Ce n’est pas la voix de Jorgi ? s’écria le forgeron alarmé.
- Mais si ! répondit l’autre. Courons vite lui porter secours !
Le fermier attrapa au passage une faux, le forgeron une barre de fer, et ils partirent à toutes jambes, terrifiés à l’idée d’arriver trop tard et de ne trouver de leur ami Jorgi que quelques os rongés. Ils arrivèrent dans le pâturage où le troupeau, paisiblement, paissait.
- Ca alors ! s’exclama le forgeron. Le loup n’a pas dispersé les moutons.
Ils s’avancèrent l’un derrière l’autre, leur arme de fortune brandie au-dessus de leur tête, traversèrent la prairie et se dirigèrent vers un bosquet sous lequel Jorgi, qui les voyait arriver en jetant partout des regards inquiets, se tenait les côtes. Et lorsque les deux compères furent à quelques pas de lui, incapable de se retenir, il éclata de rire.
- Ha ! ha ! ha ! Je vous ai bien attrapés ! cria-t-il en dansant sur place.
Les deux autres, un peu déconfits mais heureux de le revoir vivant, rirent avec lui.
Jorgi leur offrit un peu de vin, un peu de fromage, raconta quelques blagues.
- Bon, conclut le forgeron en s’essuyant les lèvres. Ce n’est pas tout, j’ai du travail, moi !
- Et moi aussi, répliqua le fermier. Adieu, Jorgi. Mais méfie-toi : on ne rit pas avec le loup.
- Allez… réplique Jorgi. Ce n’était qu’une petite plaisanterie ! J’espère que vous ne m’en voulez pas.
- Mais non, mais non, bougonnèrent les deux hommes.
Et ils repartirent vers le village.
Quelques jours passèrent et de nouveau l’ennui s’empara de Jorgi. Il jouait un peu avec le chien, faisait des farces aux brebis… mais se lassait vite. Il regardait les toits du village, imaginait la vie là-bas, les femmes autour de la fontaine… Elles, elles parlaient autant qu’elles voulaient ! Et le forgeron aussi, il voyait du monde à longueur de jour ! Il n’y avait donc que lui à être si seul ? Ce fut plus fort que lui. Il se mit à hurler :
- Au loup ! Au loup ! Au loup !
Le forgeron l’entendit et pensa : « cette fois, c’est vrai de vrai ! Il ne nous ferait une blague pareille deux fois de suite ». Et il courut encore plus vite qu’auparavant, convaincu que , cette fois, Jorgi était tombé entre les griffes de la bête.
Dans la prairie, les moutons paissaient paisiblement. Et sous les buissons, Jorgi se roulait par terre de rire en voyant l’air dépité de son ami.
- Jorgi, voyons ! s’exclama le forgeron un peu en colère. Tu me déranges une deuxième fois pour rien alors que j’ai du travail ! Ce n’est pas sérieux !
- Je m’ennuie tellement ! expliqua le berger. Allez, viens boire un verre de vin avec moi.
- D’accord, d’accord, mais vite. J’ai un fer au feu, moi.
Il avala son verre de vin et redescendit rapidement la pente en pestant. Et Jorgi se retrouva encore seul, mécontent d’avoir fâché son ami, mécontent de son métier de berger, mécontent de tout. Et de ses moutons, aussi ! Avait-on idée de passer sa vie avec des bêtes aussi bêtes ? Il se mit à parler tout seul, à raconter son malheur aux arbres, à tenir discours aux brins d’herbe.
Des jours passèrent encore. « Est-ce que je deviens fou ? » s’interrogeait parfois Jorgi. Pour combler le vide, il donna aux moutons les noms de ses amis, puis inventa d’autres noms pour les buissons et pour les herbes qu’il interpellait :
- Alors, belle Daphné, la nuit a été bonne ?
« Je deviens fou, songeait-il. Je ne pourrai pas rester seul plus longtemps. »
C’est alors qu’il vit un mouton –son préféré, celui qu’il appelait Forgeron- filer dans la pente comme une flèche :
- Holà Forgeron ! cria-t-il. Qu’est-ce qui te prend ?
Puis aussitôt, derrière le mouton, il vit pointer le museau écumant d’un loup affamé, au regard cruel.
Terrifié Jorgi se mit à appeler au secours :
- Au loup ! Au loup ! Au loup !
Une commère, passant sur la place, l’entendit hurler :
- Vite ! Les hommes ! appela –t-elle à son tour. Vite ! Jorgi crie au loup !
- Pas la peine de se déranger ! répliqua le forgeron sans cesser d’activer sa forge. Je le connais. Il crie au loup parce qu’il s’ennuie et qu’il veut voir du monde. Mais on a du travail, nous, ici.
- Ah bon, fit la commère, rassurée. C’est vrai d’ailleurs que je ne l’entends plus.
Là-haut, dans le pâturage, le loup avait bel et bien mangé Jorgi !

Les loups : contes de l’Europe
Conte traditionnel grec
Ed. Castermann

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Raconté par Conrad Dreneau

Le cordonnier et les voleurs

Un pauvre cordonnier allait de village en village en criant : « Souliers à refaire ! Souliers à refaire ! ». Sa condition lui paraissait bien triste, et il maugréait sans cesse contre les riches : « Ils sont trop heureux, disait-il, et moi je suis trop malheureux ! »
Un jour, en passant devant une revendeuse, il eut envie d’un fromage blanc. « Combien ce fromage ? - Quatre sous. - Les voilà. » Il mit le fromage dans son sac et poursuivit son chemin. Il rencontra plus loin une marchande de mercerie : « Combien la pelote de laine ? - C’est tant. » Il en prit une et se remit à marcher en sifflant.
Arrivé au milieu d’un bois, il ramassa un petit oiseau. Un peu plus tard, il vit devant lui un beau château ; il y entra hardiment. Ce château était habité par des voleurs. « Camarades, leur dit le cordonnier, voulez-vous jouer avec moi au jeu qui vous plaira ? _ Volontiers, répondit le chef de la bande ; jouons à lancer une pierre en l’air. Si tu jettes plus haut que moi, le quart du château t’appartient. »
Le voleur lança très haut sa pierre. Le cordonnier lança en l’air l’oiseau de toutes ses forces comme si c’eût été une pierre : l’oiseau s’envola et disparut. Les voleurs furent étonnés de ne pas voir retomber la pierre. « Tu as gagné, dit le chef au cordonnier ; le quart du château est à toi. Jouons maintenant à qui fera sortir le plus de lait de ce chêne : si tu gagnes, tu auras un autre quart du château. »
Le voleur étreignit le chêne d’une telle force qu’il en fit sortir du lait. Le cordonnier s’était mis sur l’estomac son fromage blanc ; il embrassa l’arbre à son tour, et l’on vit le lait couler en abondance. « C’est toi qui as gagné, dit le voleur. Maintenant jouons la moitié du château contre l’autre moitié, à qui fera le plus gros fagot. »
Le voleur monta sur un chêne, coupa des branches et en fit un énorme fagot. Le cordonnier grimpa sur l’arbre après lui, et se mit à entourer toute la tête de l’arbre avec sa pelote de laine. « Que fais tu-là ? lui demandèrent les autres. – Je fais un fagot avec tout ce chêne. Arrête, dit le chef des voleurs. Ce n’est pas la peine de continuer, tu as gagné, nous le voyons bien d’avance. »
Ils rentrèrent tous ensemble au château, et l’on conduisit le cordonnier dans la chambre où il devait passer la nuit.
Le lendemain, le cordonnier s’assura que les voleurs étaient partis ; il retourna dans son pays chercher sa fiancée et ils vécurent heureux dans leur château.

D’après Le cordonnier et les voleurs
Contes populaires et légendes de Lorraine
France Loisirs

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Texte lu par Lucette Encinas

« Ici, il y avait le café Royer dit le Grand Peinard, un cinéma, les Docks de l’Union Française, deux bourreliers Lavinan et Dubois, le coiffeur Dédé Bréjard, le plombier zingueur, le maçon et une épicerie chez la Yaya ».

L’épicerie

On l’appelait la Yaya peut-être parce que son prénom était Julia ? Elle était d’une vieille famille musséenne que l’on trouve dans les archives au XVIIIe siècle. C’était une belle femme plantureuse, très brune, l’air volontaire mais aimable, gracieuse, avenante.
Elle poussait sa charrette à bras sur laquelle elle avait installé une balance posée sur une planche. Ainsi, elle vendait dans tout Mussy.
Dans l’épicerie, toujours ouverte, on achetait des fruits, des légumes, des poissons ; enfin de tout ! Il y avait en permanence devant sa boutique un étalage. Les gens achetaient beaucoup à crédit.
Elle vivait dans sa cuisine, dans l’arrière boutique avec ses nombreux enfants et son mari, ouvrier à l’usine où il écorçait les billes pour les dérouler.
Pour le carnaval, elle fabriquait des fleurs en papier. Elle était très douée.

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Raconté par Mégane Boyer

Le tisserand

Le tisserand avait une pièce de toile, il allait la vendre dans les pays. Sa femme lui avait recommandé :
- Surtout, tu la vendras à ceux qui causent le moins.
Elle se méfiait de ceux qui causaient bien.
Le voilà parti avec sa pièce de toile, puis il offrait sa marchandise.
Les gens lui demandaient :
- Est-elle bonne ? (et autre chose de la sorte).
- Oui, c’est toujours pas vous qui l’aurez ma pièce de toile. Il avait déjà fait bien du chemin puis il n’avait toujours pas vendu sa toile. Il arrive dans une chapelle, il y avait une statue, il n’en avait peut-être jamais vu.
- Voilà mon homme (qu’il dit)
Il lui fait l’éloge de sa toile, il avait beau lui causer, l’autre ne répondait pas.
- Voilà mon homme, eh bien t’auras ma toile.
Il portait ça derrière son dos avec des bretelles, alors il prend sa balle comme ça et il la jette contre le saint :
- C’est toi qui l’auras
Voilà le saint qui dégringole et qui se casse, et puis des écus qui étaient cachés derrière lui tombent.
- Ben, qu’il dit, voilà le meilleur acheteur, il ne me dit rien et c’est lui qui me paie encore le mieux.
Ca s’est bien trouvé qu’il y avait des sous cachés là-dedans.

D’après le tisserand de J. Garneret
Contes recueillis en Franche-Comté
Folklore Comtois

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Raconté par Déborah Vélasco

Le paysan centenaire

Depuis plusieurs jours, la pluie tombait sans cesse. L’empereur guettait une éclaircie par sa fenêtre, impatient de sortir essayer son nouveau cheval, un fougueux étalon à la robe couleur de brume. Son attente fut bientôt récompensée, les nuages noirs se dispersèrent pour laisser apparaître un beau ciel bleu. L’empereur dévala le grand escalier qui menait aux écuries, enfourcha son nouveau cheval et sortit au grand galop.
Au détour d’un chemin, il aperçut un vieux paysan, creusant le sol à intervalles réguliers. L’empereur mit son cheval au pas et observa le vieillard soulever avec difficulté une lourde pelle.
- Quel âge as-tu, vieil homme ? s’enquit l’empereur, curieux.
- Je fêterai bientôt mes cent ans, répondit le paysan sans arrêter son travail.
- Ne penses-tu pas qu’il est temps pour toi de te reposer ? demanda à nouveau l’empereur. N’as-tu rien fait de ta jeunesse pour devoir autant peiner dans tes vieux jours ?
- J’aime cultiver la terre, répondit le vieil homme, et je m’émerveille encore de voir pousser les arbres ; aujourd’hui, je plante une rangée de figuiers, en espérant qu’ils porteront beaucoup de fruits.
- Et tu t’imagines vivre assez longtemps pour en cueillir les figues ? demanda le souverain, d’un ton moqueur.
- Probablement pas, dit le vieillard, mais d’autres que moi le feront. N’ai-je pas moi-même, durant toute ma vie, mangé des fruits provenant d’arbres plantés un jour par d’autres paysans ?
- Bien raisonné, vieil homme ! déclara l’empereur, satisfait. Je tâcherai de suivre ton exemple, au lieu de me soucier toujours de mon propre intérêt.
A ces mots, une goutte de pluie, effleura son visage. Craignant que le ciel ne se couvre à nouveau, il fit demi-tour et retourna sur ses terres, laissant son cheval galoper dans les chemins boueux.
Quelques années plus tard, un vieux paysan se présenta à la porte du palais. Il tenait à la main un panier rempli de figues et demanda à être reçu par l’empereur. Celui-ci l’accueillit avec bienveillance ; il se souvenait bien du paysan centenaire.
- Vieil homme, lui dit-il, je me réjouis de te voir bien portant et te félicite pour ton courage et ta ténacité. Je veux, moi aussi, te faire un cadeau…
Le souverain ordonna de remplir le panier de pièce d’or, puis de raccompagner le paysan chez lui.
Le voisin du vieil homme travaillait dans son champ, lorsqu’il vit passer le vieillard, escorté par plusieurs gardes . Etonné, il décida de lui rendre visite.
- D’où te vient ce trésor ? demanda-t-il, envieux, en voyant l’or étalé sur sa table.
- J’ai offert un panier de figues à l’empereur et il m’a donné cet or pour me remercier.
- Notre souverain, pensa le voisin, doit vraiment aimer les figues pour lui avoir offert une telle récompense. Qui me donnera-t-il si je lui en apporte encore plus ! Il arracha alors les fruits à peine mûrs de ses arbres et les entassa dans un chariot. Il s’imaginait bientôt revenir avec un chargement de pièces d’or.
Le paysan retourna chez lui, traînant un lourd chariot rempli d’ordures.
Longtemps il se souvint de cette journée, honteux en voyant l’empereur galoper à travers champs. Celui-ci, allait souvent rendre visite au paysan centenaire qui resta, jusqu’à sa mort, l’un de ses fidèles conseillers.

15 contes universels
Johanna Marin Coles & Lydia Marin Ross
Ed. France Loisirs

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Raconté par Alicia Payta

Le cordonnier

Chaque soir, avant de s’endormir, le vieux cordonnier faisait ses prières.
- Seigneur, murmura-t-il une nuit, je t’ai servi du mieux que j’ai pu et j’ai toujours voulu t’être agréable. Me voici au crépuscule de ma vie et je souhaiterais que tu m’exauces un vœu, un seul : voilà, Seigneur, je voudrais te recevoir dans mon humble maison.
Peu après, le cordonnier sombra dans un profond sommeil et rêva que les portes de sa maison s’ouvraient sous la poussée d’une splendide lumière. Et, dans son rêve, une voix lui disait :
- Gentil cordonnier, demain, ton vœu sera exaucé.
A l’aube, le vieux cordonnier se souvint du songe et il se leva, tout heureux. Il nettoya soigneusement sa petite maison, prépara un bon repas et remplit d’eau chaude sa théière.
Il ne vit qu’un homme dehors, dans le petit matin glacé. Il déblayait avec une pelle la neige qui s’était accumulée pendant la nuit.
- Ce doit être un ancien soldat, qui espère gagner quelques pièces, se dit le cordonnier en reconnaissant l’uniforme.
Puis, en l’observant, il s’exclama :
- Bon Dieu, cet homme n’est pas assez couvert, il va mourir de froid !
Ouvrant sa fenêtre, il héla l’homme et l’invita à rentrer chez lui. Il le fit asseoir devant son poêle et lui versa une tasse de thé fumante.
Après s’être longuement réchauffé, le soldat le remercia et sortit.
Le cordonnier remit de l’ordre dans sa maison, puis retourna à la fenêtre. Dans la rue, maintenant, il voyait une jeune femme portant son nouveau-né dans les bras.
Elle avançait péniblement dans la neige et serrait autour d’elle un châle rapiécé.
- Pauvre femme, pensa le cordonnier, elle n’a même pas de quoi se couvrir par ce temps ! Et je suis certain qu’elle a le ventre vide !
Il ouvrit sa porte et courut chercher la jeune femme, qu’il conduisit chez lui. Il lui servit la moitié du repas qui fumait dans le four et le reste du thé. Pendant qu’elle se rassasiait, le cordonnier fouilla dans un coffre et en sortit plusieurs vêtements de femme.
- Prenez-les, dit-il. Ils appartenaient à ma défunte femme. Je sais qu’elle vous les aurait elle-même donnés.
La jeune femme s’en couvrit et, pleine de reconnaissance, reprit son chemin.
Le vieux cordonnier rangeait la vaisselle lorsque quelqu’un frappa à la porte. Il ouvrit, le cœur battant, mais sur le seuil il n’y avait qu’un enfant. A cet instant surgit une marchande, le visage rouge de colère :
- Rends-moi mon pain, cria-t-elle à l’enfant en le saisissant par l’oreille.
- Laissez-le tranquille, dit le cordonnier, je paierai pour le pain qu’il vous a pris. Oubliez cet incident, je suis sûr qu’il ne recommencera plus.
La marchande finit par se radoucir et, lorsqu’elle fut partie, le cordonnier invita l’enfant à entrer. Il lui servit le reste du repas et au moment où il partait, lui tendit un beau morceau de pain. L’enfant retourna chez lui chargé de son précieux fardeau.
C’était le mois de janvier et la nuit tombait très vite. Voyant le jour s’assombrir, le vieux cordonnier fut rempli de tristesse :
- Ce n’était donc qu’un rêve, soupira-t-il tristement, personne ne viendra plus aujourd’hui. De toute façon, ajouta-t-il pour se consoler, si le Seigneur venait maintenant je n’aurais plus rien à lui offrir.
Et il alla s’asseoir car il était vieux et fatigué. A ce moment-là, une lumière resplendissante illumina la pièce et le cordonnier vit apparaître le soldat, la jeune mère et l’enfant. Tous les trois lui sourirent, puis lui firent signe d’approcher. Et la voix murmura :
- Gentil cordonnier, aujourd’hui, par trois fois, je suis entré dans ta maison. Mais j’y étais déjà venu ; car, à chaque fois que tu as reçu quelqu’un, c’était moi que tu accueillais.

15 contes universels
Johanna Marin Coles & Lydia Marin Ross
Ed. France Loisirs

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Texte lu par Monique Lagoutte

« Ici, il y avait un menuisier-ébéniste-bistroquet, une buvette-tabac, un boucher, un boulanger, le forgeron maréchal-ferrant, le photographe, le garagiste, le café : le Tonkin, un cordonnier, le bazar et un marchand de charbon. »

Le bazar

Dans un bazar, il y a de tout, mais vraiment de tout. Ici aussi au bazar de Mussy ! Alimentation, décoration, papeterie, bricolage, chaussures, laines, vêtements, jouets, sacs, peinture, bouteilles de gaz, colles, bijouterie, mercerie, hygiène, beauté et au milieu les couronnes mortuaires à perles.
Un mobilier à grands et gros tiroirs contenait des trésors et la caisse enregistreuse était à manivelle.
Se sont succédés les Didier, Grélois, Maître, Meunier, Fontaine.
Et un jour d’hiver, le bazar a brûlé. Les pompiers essayaient d’arroser le feu mais l’eau gelait dans les tuyaux. On aurait dit un feu d’artifice. Peut-être à cause des pétards et des fusées.

Le charbonnier

François Duc, le grand-père d’Alice, était charbonnier.
Il travaillait dans les bois Olivier. Il veillait à ce que le bois soit coupé à ras du sol pour éviter que les chevaux se blessent. François et René fabriquaient du charbon de bois et montaient les meules eux-mêmes.
Autour d’un piquet planté dans le sol, ils rassemblaient de la charbonnette verticalement jusqu’à une hauteur de 2 mètres environ. Leur meule dressée, ils la recouvraient de mousse et de terre pour éviter que le bois se consume vite et se réduise en cendre.
Le piquet enlevé, il restait une cheminée dans laquelle les charbonniers jetaient de la braise, puis ils bouchaient le trou avec des feuilles et de la terre. La combustion était très lente : deux jours environ et elle réclamait une surveillance constante. Quand la fumée ne s’échappait plus de la meule, les charbonniers éteignaient la meule en l’étouffant avec de la terre. Ils la découvraient, laissaient refroidir le charbon en veillant à ce qu’il ne s’enflamme pas de nouveau et le mettaient en sacs.
Les enfants de François, Francine et Valentine écorçaient les arbres : l’écorce était pour le charbonnier. Ils la mettaient en bottes et la vendaient.
Il ne fallait pas consommer les champignons poussant sur une place à charbon de bois (risque d’intoxication), les gaz de combustion demeurant quelques années dans la terre.

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Raconté par André Jacquel

Le pain facile

Un paysan labourait son champ. Il s’est arrêté pour casser la croûte. Le loup qui sortait du bois l’a vu, s’est approché :
- C’est quoi, ce que tu manges ?
- Du pain, a répondu le paysan.
- Et c’est bon ?
- Je comprends que c’est bon ! Le meilleur plat manque de goût si on le mange sans pain.
- Tu ne veux pas m’en donner un peu ? a demandé le loup.
- Le pain, ça ne se refuse pas.
Le paysan a coupé une tranche. Le loup a goûté, ça lui a plu. Il a dit :
- J’en mangerais bien tous les jours, de ce pain !
- Tu n’as qu’à en faire –et bon appétit !
- Et comment on le fait, le pain ?
- Ben, d’abord, il faut labourer le champ…
- Et on trouve du pain ?
- Non. Il faut encore semer le blé…
- Et on a le pain ?
- Pas encore. Il faut que le blé pousse, qu’il mûrisse…
- Ah bon ! Et alors le pain est là ?
- Ce que tu es pressé, toi !… Le blé, il faut le couper, il faut le battre pour avoir du grain…
- Et alors on mange le pain ?
- Attends, mon vieux ! Le grain, il faut le porter au moulin, il faut le moudre en farine…
- Et c’est enfin terminé ?
- Presque. Il faut préparer la pâte, attendre qu’elle lève, faire des miches, les mettre dans un four bien chaud…
- Et c’est le pain qu’on sort du four ?
- Exactement ! Le bon pain tout chaud, tendre…
Le loup a soupiré :
- Tout ça est bien long, bien compliqué. Il n’y a pas moyen de se procurer du pain plus facile ?
- ça peut se trouver, dit le paysan. Seulement, des fois, le pain facile n’a pas trop bon goût.
- Oh, moi, pourvu que j’aie un petit quelque chose à me mettre sous la dent !…
- Alors, tu n’as qu’à manger le cheval qui est là-bas, dans le pré. Voilà du pain facile et vite fait.
- Vrai ? Tu me permets de manger le cheval ? a demandé le loup.
- Pourquoi pas ? Faut voir ce que le cheval en pense. Arrange-toi avec lui.
Le loup a trotté vers le pré. Le renard passait par là, qui a demandé :
- Tu m’as l’air bien pressé ? Où cours-tu comme ça ?
- Déjeuner, a répondu le loup. Je vais manger le cheval qui est là-bas, dans le pré. Viens, si tu veux, je t’invite !
- Tu n’y penses pas ! L’homme, là-bas, va nous tuer !
- Mais non ! Il m’a permis de manger ce cheval. « Arrange-toi avec lui » qu’il m’a dit. Viens donc !
Et ils y sont allés. Le loup a dit au cheval :
- Cheval, je viens pour te manger ! L’homme me l’as permis.
Le cheval l’a regardé de haut :
- Ce que l’homme a dit, je m’en moque bien ! J’ai un édit du roi comme quoi c’est défendu de me manger !
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire, dis donc, renard, tu connais ça, un édit royal ?
- Pour le connaître, je ne connais pas, mais peut-être que ça existe quand même. Faudrait vérifier.
- Vérifiez si vous voulez, a dit le cheval. C’est tout écrit sur mon sabot arrière gauche. Vous n’avez qu’à lire.
Le cheval a levé sa jambe gauche, le loup s’est approché à coller son nez dessus. Alors, d’une bonne ruade le cheval l’a envoyé rouler à cent mètres. Le loup en est resté sans mouvement, sans souvenirs, même sa faim était passée…
Le renard a regardé ça. Puis il a joint les pattes, il a levé les yeux au ciel.
- Bénie soit ma pauvre chère défunte mère ! a dit le renard. Bénie soit-elle, qui ne m’a jamais appris à lire. Autrement, où j’en serais à cette heure, pauvre de moi ?….

365 contes de gourmandises
Luda
Ed. Gallimard Jeunesse

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Raconté par Alexis Lazzarotti

Le forgeron et la douleur

Un jour, le forgeron se dit :
- Je n’ai jamais connu la douleur. On dit qu’elle existe ici-bas ; je vais partir à sa recherche.
Avant de quitter son logis, il se servit une bonne rasade d’alcool. Chemin faisant, il rencontra le tailleur.
- Bonjour, forgeron.
- Bonjour, tailleur.
- Tu sais, mon ami, tout le monde dit que la douleur existe ici-bas ; je suis parti à sa recherche.
- Faisons route ensemble. Moi non plus, je n’ai jamais connu la douleur ; allons la chercher de conserve.
Ayant longuement cheminé, ils pénétrèrent dans une forêt. Sous les épaisses frondaisons, ils repérèrent un petit sentier qu’ils suivirent un bon bout de temps. Ils finirent par aviser une grande isba. Comme la nuit venait de tomber, ils se concertèrent :
- Nous ferions mieux de chercher refuge dans cette maison.
Ils en poussèrent la porte, et virent que le logis était vide et semblait peu engageant. Ils s’assirent tous deux sur le banc.
Peu après, une femme borgne et décharnée, de très haute taille, entra dans l’isba.
- Tiens, s’écrie-t-elle en voyant le forgeron et le tailleur. J’ai des hôtes. Bonsoir.
- Bonsoir, femme. Nous désirons passer la nuit sous ton toit.
- Fort bien. Je vais enfin avoir quelque chose à mettre dans mon assiette.
A ces mots, le forgeron et le tailleur prirent peur. La Douleur alla chercher un gros fagot de bois, le déposa sous le four et l’alluma.
Elle s’approcha du tailleur, lui trancha la gorge, le mit à cuire dans le four et dressa la table.
Le forgeron, angoissé, se demanda ce qu’il devait faire. La Douleur entama son souper. Le forgeron regarda le feu et dit :
- Femme, je suis forgeron.
- Que sais-tu faire ?
- Je sais forger n’importe quoi.
- Forge-moi un œil.
- Très bien, acquiesça le forgeron. Aurais-tu une corde ? Je devrai t’attacher pour que tu ne te débattes pas.
La Douleur alla chercher deux cordes, l’une fine, l’autre grosse. Le forgeron la ligota à l’aide de la première.
- Tourne-toi donc, femme !
La Douleur se tourna et rompit la corde.
- Non, femme, dit le forgeron. Cette corde ne vaut rien.
Il prit la grosse corde et ficela soigneusement la Douleur.
- Tourne-toi donc, femme !
La Douleur se tourna sans parvenir à rompre ses liens. Le forgeron prit un poinçon, le fit rougir à la flamme, puis il prit une hache et cogna un bon coup sur le poinçon du dos de la hache. La Douleur se tourna, rompit la corde et alla s’asseoir sur le seuil.
- Ah, canaille ! cria-t-elle. Désormais, tu ne m’échappera plus !
Voyant que la Douleur le guettait, le forgeron se demanda à nouveau ce qu’il devait faire.
Juste à ce moment, le troupeau de moutons rentrait du pré ; la Douleur fit entrer les bestiaux dans l’isba. Le forgeron passa la nuit sous le toit de la Douleur.
Le lendemain matin, alors qu’elle faisait sortir le troupeau, le forgeron prit une peau de mouton, la retourna fourrure à l’extérieur, enfila les manches et, à quatre pattes, s’approcha de la Douleur, comme s’il était un mouton. Quand le tour du faux mouton fut venu, la Douleur l’attrapa par la peau du cou et le jeta au-dehors, sans s’apercevoir de la ruse.
Dès qu’il fut dans la cour, le forgeron se redressa et cria :
- Adieu, Douleur ! Tu m’en as fait voir de toutes les couleurs. Mais à présent, tu ne peux plus rien contre moi.
- Attends un peu ! lui répondit la Douleur. Tu en verras d’autres, tu n’es pas encore parti !
Le forgeron emprunta en sens inverse l’étroit sentier forestier. Il remarqua une herminette à manche d’or plantée dans un arbre. Il voulut la prendre, mais sa main resta collée au manche. Que faire ? Impossible de partir. Comme il se retournait, il vit la Douleur qui venait à lui, vociférant :
- Tu vois bien que tu n’es pas encore parti, canaille !
Le forgeron sortit son couteau de sa poche et se trancha d’un coup le poignet avant de prendre ses jambes à son cou.
De retour au village, il montra à tous les habitants son bras qui avait connu la Douleur :
- Voyez un peu ce qui nous est arrivé, au tailleur et à moi. J’ai perdu ma main et la Douleur a dévoré mon compagnon !

Contes populaires russes
Afanassiev
Poche Junior

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Petits métiers d’autrefois

L’annonceuse de deuil : Monique Servonnat-Lagoutte
Une femme, rétribuée par la famille en deuil, passait de maison en maison pour annoncer les décès. Elle disait : « Je vous invite au deuil de Monsieur ou de Madame… ». Cette tradition a perduré jusque dans les années 1970.

Le sonneur de cloches : Georgette Bouquet
Les cloches ont été électrifiées vers 1937 et l’abbé Tinet était tellement heureux qu’il appuyait sur le bouton chaque fois que quelqu’un venait le voir et ça sonnait, ça sonnait…. A toutes volées.
Avant, il fallait tirer sur les cordes des cloches. Le dimanche, c’était les enfants de chœur qui s’acquittaient de la tâche.
Pour les enterrements, il y avait deux sortes de sonneries : la 1re classe et la 2e classe et les garnitures de corbillards changeaient suivant si c’était un enterrement de 1re classe ou de 2e classe.
Le corbillard était tiré par deux hommes ; quatre proches amis tenaient les cordons du corbillard appelés les cordons du poêle.

Le tueur de cochons : Lucette Encinas
Pour le repas du cochon, le tueur de cochons était à la place d’honneur.
Avec les abats, on préparait « la ragouniasse au vin » ou la gruyotte (gruotte) et on donnait de la cochonnaille aux gens qui avaient rendu service dans l’année. Et ce qu’on donnait était en fonction du service rendu.

Le ramasseur d’ordures : Monique Lagoutte
Il y a eu le père Paulet qui ramassait les ordures, triait tout et mettait dans son champ tout ce qui pouvait l’enrichir.
Puis le père Cornu effectua le ramassage avec un tombereau et un âne ensuite le père Beney eut un mulet.
C’était un métier qui donnait soif, aussi le père Georges vendait-il de temps en temps, pour boire, une des poules élevées par sa femme. Quand sa femme s’apercevait qu’il manquait une poule, le père Georges accusait la buse. La buse du père Georges n’existait pas mais on en parlait tout le temps !
Il avait un fils qui tuait les cochons. Quand ce dernier est allé demander la main de sa femme, le père a demandé : « Et ma fille, tu la rendras heureuse ? ». Et il a répondu : « Elle sera comme une petite poule, si elle veut manger, il faudra qu’elle gratte ! ».

La sage femme : Muguette Lannes
Elle a mis au monde 1200 enfants. En plus d’aider les femmes à mettre au monde leurs enfants, elle faisait les piqûres. La même aiguille servait toute une saison. Ce n’était pas encore l’époque du tout jetable. Bien sûr, elle désinfectait l’aiguille chaque fois en la laissant bouillir dans l’eau de nombreuses minutes.

Le garde-champêtre : Lucienne Stapf
Le rôle du garde-champêtre était bien sûr de veiller au respect de la loi et des propriétés. En outre, il assurait la distribution des plis de la mairie et l’affichage des textes officiels. Il diffusait également les annonces de la mairie ou celles des marchands déballant leurs produits sur le marché.
Un garde-champêtre faisait ses annonces à bicyclette, agitant une clochette à chaque station. Un autre, autour duquel s’attroupaient les jeunes enfants, tapait sur un tambour pour rassembler les auditeurs. Il n’était pas doué dans l’art de manier les baguettes, mais il faisait du bruit et c’était le principal. Les petits l’appelaient « pépère-tambour ».Un autre garde-champêtre qui ne voulait ni clochette ni tambour avait préféré le mégaphone. Sa voix portait très loin. Un jour, annonçant un texte municipal, il était importuné par une guêpe qui tournoyait autour de lui. Excédé, il interrompit sa lecture mais n’éteignit pas le mégaphone et, dans une grande partie du village, on put entendre les vociférations tonitruantes du garde-champêtre : « Bon Dieu de Bon Dieu ! putain de guêpe ! Tu vas voir si je sors mon fusil ! » Cette manifestation mit la population en joie, mais elle valut un blâme au garde-champêtre.
Un des gardes-champêtres qui ont exercé à Mussy surprit quelques gamins se régalant sous un cerisier. Les grands s’enfuirent à toutes jambes. Un petit bonhomme de 6 ou 7 ans, sidéré, resta sur place et dit, le visage barbouillé de jus de cerises : « Je vous le jure sur la tête du Bon Dieu, Monsieur le garde-champêtre, j’en ai pas mangé ! » Quelle sanction donner à tel serment ? Le propriétaire, prévenu, à qui le garde-champêtre réclamait l’indulgence, ne fit que rire en rappelant qu’autrefois il maraudait, lui aussi, avec les galopins du village. Quelques poignées de cerises ne valaient pas un procès.
Les gardes-champêtres, lors de leurs tournées, surveillaient les alentours avec leurs jumelles. Ils en ont surpris des rendez-vous amoureux ! Mais quoi, c’est la vie et chacun la sienne !
Les maraudeurs qui, la nuit, allaient « visiter » les jardins, étaient appelés poétiquement les « jardiniers du clair de lune ».

Le cantonnier : Georges Lagoutte
Actuellement, on entend plus beaucoup parler du cantonnier sauf dans la chanson :
« Sur la route de Louviers
Il y avait un cantonnier
Et qui cassait, et qui cassait
Et qui cassait des tas de cailloux. »
Autrefois, on ne pouvait pas faire quelques centaines de mètres autour du village sans en rencontrer. D’ailleurs quelques baraques en pierre qui servaient d’abris pour les hommes et le matériel existent encore le long des routes.
A la mort d’un autre, il fallut emmener ses quatre gosses à l’Assistance Publique car la mère, malade, ne peut les élever. Les gosses se cramponnaient à leur mère. On demanda à Monsieur Ferriot de les conduire parce qu’il avait une voiture. Il refusa et pleura avant de s’y résigner.
Heureusement, l’histoire finit bien car la mère put les reprendre lorsque sa situation se fut améliorée.

Le facteur : Pierre Stapf
Il y a eu un grand raconteur d’histoires qu’on appelait « le roi des menteurs ». Il racontait en distribuant le courrier.
Un soir de Réveillon, pendant la guerre, il rentrait à vélo. Soudain, il entendit une moto allemande qui le poursuivait. Il pédala, la moto se rapprocha. Alors, il se mit à pédaler les deux pieds ensemble à la même hauteur et ainsi leur échappa !
Il racontait aussi qu’un jour, à Champ Cadot, il avait crevé. Il a alors pris un timbre poste, l’a collé sur la chambre à air et est reparti. La réparation a tenu 15 ans. « Tu ne me crois pas ? disait-il, va voir le pneu ! »
Une autre fois, il va en gare de Mussy chercher le courrier. Il y a au moins 70 cm de neige. Il pose son vélo et là, entend du bruit vers la sablière : c’est un sanglier. Il va chercher son fusil, ajuste et tire.
« Tu l’as eu ?
- Tu parles ! Y avait le chef de gare qui cueillait ses petits pois dans son jardin ! »
Il donnait de bons conseils à son petit-fils : « Plus tard, disait-il, marie-toi avec deux femmes comme ça quand elles se disputent le soir, elles te foutent la paix ! ».
Ou bien : « Il faut être gendre dans un château parce que tu verras qu’il y a la moitié des français qui travaille pour l’autre moitié. Il faut savoir duquel côté tu veux être ! »
Pour lui, il y avait deux sortes d’escrocs : l’escroc autorisé et l’escroc non autorisé ! »

Le ramasseur de peaux de lapin : Simone Rondel
C’était les femmes qui vendaient les peaux de lapin. L’argent leur revenait puisque ce sont elles qui allaient chercher l’herbe et les nourrissaient.
Les peaux devaient sécher correctement, aussi allait-on chercher de fines branches de noisetier pour les tendre. Une autre méthode consistait à les remplir de paille ou de sciure.
Le ramasseur de peaux de lapin passait chaque semaine et criait dans les rues : « Peaux de lapin, peaux, y a t-il quelqu’un à la maison ? »
Il payait la peau quelques sous suivant sa qualité, sa grandeur. Les peaux blanches coûtaient plus cher. Ces quelques sous étaient l’argent de poche des femmes.

La correspondante des catalogues : Camille Kahn
Il y avait la correspondante des catalogues, qui apportait à certaines familles, les catalogues de vente par correspondance du Bon Marché, de la Samaritaine, du Printemps, des Trois Quartiers, du Louvre.
Les pages consacrées aux œuvres de bienfaisance montraient des vêtements d’une laideur !. Et comme le chantait Jacques Brel de couleur caca d’oie :
(Chanté)
« Pour faire une bonne dame patronesse
Tricotez tout couleur caca d’oie
Pour que le dimanche à la grand messe
On reconnaisse ses pauvres à soi.
Et un point à l’envers et un point à l’endroit
Un point pour St Joseph, un point pour St Thomas. »


Remerciements

Les adhérents des associations Les Amis de la Lecture et du Patrimoine et Pour Mieux Vivre Ensemble adressent leurs sincères remerciements à Madame Martine Caillat, conteuse à l’A.M.A.C de Lyon, à Madame Chantal Valentin, conseillère pour le livre et la lecture à la DRAC Champagne Ardenne, à Madame Dominique Ruelle, directrice du groupe Henri Chantavoine, à Mademoiselle Delphine Cora de la médiathèque, au service technique et à la municipalité de Mussy sur Seine.

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